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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

vaille lui-même en recourant aux ivresses factices ; il cherche l’eau de Jouvence jusque dans les flaques boueuses de la rue ; il s’affaisse de plus en plus au fond d’un morne silence. Avec la jeunesse, le poète de la jeunesse avait tout perdu ; il était mort à la poésie en même temps qu’à l’amour.

Alfred de Musset a abandonné son existence aux hasards de la fantaisie et son génie aux caprices de la verve. L’inconstance native, la paresse, le mépris de toute discipline, qui se trahissent déjà par une adolescence oisive et décousue, le poète devait plus tard en porter la peine. Enfant nerveux et fantasque, il se laisse aller sans avoir la force de se conduire ; il dissipe sa jeunesse à tous les vents, il gaspille les trésors de son âme. Il fait consister toute sa vie dans le délire d’une passion exaltée et maladive, et, si cette passion alimente d’abord son génie, elle ne tarde pas à en dévorer toute la substance.

Ce fut un grand poète par accès, ce ne fut pas un artiste accompli. Il avait pourtant fait ses débuts sous le patronage et dans l’intimité du cénacle. Mais l’exemple de ses aînés, scrupuleux ouvriers de facture, ne l’empêche pas de se lâcher presque aussitôt la bride, de chercher même dans la négligence une originalité de mauvais aloi. Si, comme Mardoche, il rime idée avec fâchée, c’est « pour se distinguer de cette école rimeuse qui ne s’est adressée qu’à la forme ». De telles faiblesses sont après tout excusables ; elles peuvent même passer çà et là pour une grâce de plus chez ce poète que le genre pittoresque n’a jamais séduit et qui demande au sentiment toutes ses inspirations. Mais il ne secoua pas seulement le joug de la rime, il prit encore avec la langue elle-même des libertés que ne sauraient lui faire pardonner toutes les séductions naturelles de son heureux et facile génie. On trouve jusque dans ses meilleures pièces des défaillances, des obscurités, des expressions impropres, parfois quelque solécisme. Il a fait son livre « sans presque y songer ». Or, lui-même devait le dire, « ce qui est véritablement beau est l’ouvrage du temps et du recueillement, et il n’y a pas de vrai génie sans patience ». L’on trouve