Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire au XIXe siècle, 1900.djvu/163

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
155
LE LYRISME ROMANTIQUE.

dans Musset bien des pages « véritablement belles » ; mais, s’il en est peu dont l’exécution soit parfaite, c’est justement que la patience lui a manqué.

Toute sa poétique se résume dans un vers :

Ah ! frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie.


Quand sa main écrit, « c’est son cœur qui se fond ». La poésie, telle qu’il la conçoit, consiste à « écouter dans son cœur la voix de son génie ». Aux ouvrages « faits avec de l’art », il oppose ceux qui « sont faits avec le cœur ». Pour lui, « l’art, c’est le sentiment » ; et il écrit à son frère : « Ce qu’il faut à l’artiste ou au poète , c’est l’émotion ; quand j’éprouve en faisant un vers un certain battement de cœur que je connais, je suis sur que mon vers est de la meilleure qualité que je puisse pondre. »

Il est de tous les poètes celui qui a porté le plus d’ardeur dans la passion. Il la chante encore toute crue. Il la laisse jaillir avec une âpre violence ; il la livre sans apprêt dans sa sincérité chaude et vibrante. Douleur ou joie, tout demande à sortir de son sein, et à en sortir sur-le-champ. D’autres se déprennent, le moment venu, de leurs créations même les plus personnelles ; lui, il est comme le pélican dont il a célébré le supplice, il donne en pâture ses propres entrailles. Il laisse tomber, non pas seulement les larmes de ses yeux, mais le sang de sa blessure.

C’est ce qui fait sa grandeur ; c’est aussi ce qui fait sa faiblesse. Loin de dominer son émotion, il en est la proie. La fougue même du sentiment l’emporte malgré lui et le lance à bride abattue sans qu’aucun faux pas l’arrête. Il ne compose pas ses sujets, il s’y jette tête baissée. « Moi, disait-il un jour, au courant d’une scène ou d’un morceau de poésie, il m’arrive tout à coup de changer de route, de culbuter mon propre plan, de me retourner contre mon personnage préféré ; j’étais parti pour Madrid et je vais à Constantinople. » Ce ne sont chez lui que bonds et saccades ; il procède par exclamations, par apostrophes, c’est-à-dire