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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

par jets successifs de passion. De là, les lacunes, et, pour ainsi dire, les hiatus qu’on lui reproche, non pas ces incohérences voulues de tels contes qui n’ont à dessein ni tête ni queue, mais les « solutions de continuité » qu’offrent parfois ses poèmes les plus soutenus, et qui sont aussi la faiblesse capitale de ses drames.

Il n’y a point chez lui de puissance inventive. Ses personnages sont des êtres d’une idéalité transparente qu’il colore avec les caprices de sa fantaisie, et ses sujets, des histoires d’amour, les premières venues, mais qu’anime sa sensibilité exquise et dans lesquelles éclatent çà et là d’admirables couplets de passion. Il n’a pas davantage la force de la pensée. Il sent, il aspire, il rêve, mais il ne pense pas. Il se replie sur des sentiments et non sur des idées. Laissons de côté ses frivoles persiflages et l’impiété de bohème qui trouve en Mardoche un interprète digne d’elle. Deux ou trois fois, il s’est posé sérieusement la question suprême : mais quelle philosophie superficielle et courte que celle de l’Espoir en Dieu ! Alfred de Musset est une nature purement sensible. Tout en lui a sa source dans le cœur, même l’esprit, quand il s’abstient d’en faire, même l’imagination, qu’il ne déploie jamais à loisir ; l’imagination est chez lui la couleur du sentiment comme l’esprit en est la grâce vive et piquante.

Le poète s’était annoncé d’abord par des chansons dont l’impertinente désinvolture tranchait sur la gravité mélancolique et quelque peu solennelle de ses aînés. Il s’amusait à des tours de collégien ; il scandalisait « les pharmaciens du bon goût » ; il faisait ses enfances avec une grâce espiègle et fringante. Puis, il trouve dans Régnier un maître de savoureux langage : les Contes d’Espagne et d’Italie mêlent à l’âpreté méridionale une veine toute gauloise de franchise pittoresque et d’ingénue familiarité. Il se plaît aux scènes de meurtre et de débauche, il ne sort d’un cabaret que pour entrer dans un bouge ; son vers incisif pousse dans ces peintures l’énergie jusqu’à la brutalité. Parfois cependant, de fraîches romances, un couplet doux