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LE LYRISME ROMANTIQUE.

et pur, quelque chose de naïf et de limpide, une candeur foncière que les forfanteries du cynisme laissent de loin en loin reparaître chez ce poète de vingt ans. De l’esprit aussi, un esprit que gâtent souvent les affectations d’un dandysme aujourd’hui bien démodé, mais qui, lorsqu’il n’y songe pas, badine et se joue avec une légèreté charmante. Sa poésie a déjà l’éclat facile, la justesse naturelle de l’image, l’aisance et la souplesse du mouvement ; en attendant la passion, elle a la grâce, la fraîcheur, la fantaisie, un son clair et franc, un rayon de malicieuse gaîté.

Après les Contes d’Espagne et d’Italie il y a pour le poète une courte période de transition pendant laquelle il semble hésiter et se chercher lui-même. Mais nous trouvons déjà le Musset définitif dans les Vœux stériles et Raphaël. Il laisse de côté les costumes de fantaisie ; il renonce à toute manière, à tout exotisme de contrebande. C’est son cœur qu’il va désormais nous montrer à nu. Pour la première fois, la source des larmes en a jailli :

Des pleurs, le croirais-tu.
Tandis que j’écrivais ont baigné mon visage.


Il se peint lui-même dans la Coupe et les Lèvres, dans Namouna, dont vingt-cinq ou trente strophes, tout ardentes de lyrisme, font pardonner un verbiage extravagant et une intolérable fatuité, dans Rolla, ce conte absurde, mais où l’incomparable éloquence du cœur sauve la pauvreté du fond et rachète bien des invectives puériles et des tirades essoufflées. Avant que la passion ne l’ait pris par les entrailles, Alfred de Musset l’a devinée ; il en a aspiré par avance les ardeurs et les délires. Enfant craintif au bord des eaux qui l’attirent, il regarde dans le cœur de ses amis plus âgés, il cherche à y pénétrer les ondes des douleurs sans borne, il se penche sur l’abîme, il envie non seulement les ivresses de l’amour, mais aussi la blessure et les maux. Ainsi qu’un cheval qu’on pique à la poitrine,