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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

la funèbre et glaciale pensée n’a point lâché prise. Il lit l’inscription de l’église d’Urrugue ; il puise à la fontaine du cimetière l’eau cristalline qui a un goût de cadavre ; il quitte la jeune femme de Vergara pour voir un mort qui passe, et, quand elle veut le retenir, il songe que le ver rongera cet œil de flamme et que ce beau corps parfumé sera bientôt une pourriture fétide.

C’est surtout la laideur de la mort que redoute Gautier. D’autres sont troublés par l’incertitude de l’au-delà. Quant à lui, rien de philosophique ou de moral dans son effroi : c’est une répugnance invincible chez cet amant du Beau pour le squelette hideux et grimaçant.

La peur de la Mort et l’adoration du Beau, l’une s expliquant par l’autre, c’est, au fond, le poète tout entier, ce poète qui dit :

Mes vers sont des tombeaux tout brodés de sculpture.


Il a été le chantre de la beauté dans sa robuste splendeur, et c’est par le culte des belles formes qu’il fit, comme lui-même s’en vante, « une bifurcation à l’école du romantisme, de la pâleur et des crevés ». La beauté qu’il aime est toute plastique : il ne lui demande pas l’expression sentimentale, mais la perfection du galbe. Devant elle, il n’éprouve qu’une admiration d’artiste. Cette beauté qu’il adore n’a pas d’âme, pas de physionomie morale. Elle est la Beauté ; non pas une mortelle qu’on aime, mais une déesse aux pieds de laquelle on se prosterne. Gautier n’a jamais exprimé ni les tendresses ni les délires de l’amour. La femme lui apparaît comme une sorte de poème, le poème d’un corps sans tache qui groupe ses charmes nus dans une série de stances sculpturales.

C’est un païen ; il est né pour la Grèce, pour ces temps heureux de l’art antique où des urnes aux formes élégantes recevaient les cendres des morts. Mais ce païen a traversé le moyen âge, et il en a gardé les terreurs. C’est un païen à superstitions catholiques. En extase devant la Beauté, il