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LE LYRISME ROMANTIQUE.

voit tout à coup se dessiner sous les harmonieux contours de la Vénus grecque ce squelette horrible que ne brûle plus le bûcher.

Un cri lui échappe : Oh ! que l’art antique vienne couvrir le squelette de son marbre étincelant ! S’il a exprimé l’horreur du tombeau avec une aussi pénétrante âcreté, c’est justement parce qu’il aimait la vie, les pompes de la nature, les opulences du monde sensible, tout ce qui est autour de nous lumineux et sonore, tout ce qui offre à l’oreille des rythmes caressants et à l’œil de riches proportions. Gautier était passé de la peinture à la poésie : on peut dire (on l’a dit sans doute bien des fois) qu’il voulut faire avec la plume ce qu’il eût fait avec le pinceau. C’est par là que, disciple du romantisme, il devint à son tour chef d’école. Où le poète triomphe, c’est quand il se contente de reproduire des apparences sans rien donner à la pensée ni au sentiment, sans trahir autre chose de lui-même que la sûre précision de son coup d’oeil et la merveilleuse dextérité de sa main. Souvent, il ne regarde la nature que traduite déjà par l’art. Dans son premier recueil, il reproduit une toile de Lancresson, une autre de son ancien maître Rioult ; dans Albertus, il consacre une strophe à décrire quelque peinture de son héros. Les paysages de Belgique lui paraissent n’être qu’une « imitation maladroite de Ruysdael ». Nouvelliste, il ne fait guère que des études de couleur, éloignant ses sujets dans le temps ou dans l’espace pour y trouver des effets d’un pittoresque plus vif et plus tranche ; voyageur, ses relations ne sont qu’une série de tableaux ; critique de théâtre, les décors l’intéressent plus que les personnages. Il lui vient parfois comme un repentir d’avoir quitté la palette pour l’encrier : devant Julia Grisi dans sa loge, impuissant à rendre la beauté, il déplore l’épithète sans relief et la rime sans couleur. Tout son effort tend à vaincre l’irrémédiable infériorité de la poésie quand elle veut lutter de rendu avec la peinture.

De là, son culte superstitieux des mots. La poésie, selon lui, consiste d’abord à les connaître, ce qui est la science