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LE LYRISME ROMANTIQUE.

de ce qui est indispensable pour supporter l’art. Dans son œuvre, le fond est trop souvent opprimé par la forme, et les curiosités mêmes de la forme accusent encore l’insignifiance du fond.

Outre bien des recherches et des fioritures, on peut reprocher à Gautier, et ce que la merveilleuse netteté de son trait a parfois de sec et de dur, et ce qu’il y a de factice dans son style perpétuellement imagé. Mais, quelques critiques que l’on fasse à l’artiste lui-même, il n’en demeure pas moins un excellent ouvrier de style et de versification, et c’est là ce qui le caractérise entre tous les poètes de son temps. L’auteur d’Émaux et Camées, qui regarde l’art comme étant à lui-même sa propre fin, exagère cette idée jusqu’à ne plus voir que, si la forme a une importance capitale, c’est du moins à la condition d’exprimer quelque chose. L’art est le seul dieu qu’il ait servi. Il n’a eu d’autre religion que sa jalouse et stricte esthétique, gardienne des formes nettes et des austères contours. Il a répudié les rythmes commodes ; il a dédaigné la molle argile pour lutter avec le marbre ; il a soumis l’inspiration aux contraintes d’une technique rigoureuse et la fantaisie elle-même à la discipline des règles. À côté de Lamartine, qui laissait trop souvent flotter la rêne, de Musset, qui affectait un dédain fashionable du métier poétique, en face de leurs disciples, élégiaques vaporeux ou humoristes débraillés, aussi peu scrupuleux les uns que les autres à manier la langue et le rythme, il était bon sans doute que Théophile Gautier maintînt les exigences de l’art dans toute leur sévérité, qu’il ne se pardonnât ni un mot impropre, ni une rime inexacte, qu’il se bornât à exprimer des apparences et des contours dans une forme parfaitement exacte et irréprochablement pure.

Parmi les innombrables poètes de l’école romantique, il en est deux autres, bien inférieurs sans doute aux précédents, mais ne se confondant avec aucun d’eux, l’auteur des Iambes et celui de Marie, qui ont l’un et l’autre leur veine