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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

originale, ardente et bourbeuse chez le premier, contenue chez le second, et pure et d’une délicate ténuité.

Auguste Barbier, dans son Pianto, a trouvé, soit en répandant sa plainte sur l’Italie au cercueil, soit en prédisant à la noble morte une glorieuse et triomphante résurrection, des accents tantôt émus d’une pieuse tendresse, tantôt éclatant en magnanimes appels. Ce n’est pourtant pas dans ce recueil qu’il faut chercher l’originalité du poète, et Barbier demeure pour nous l’auteur de la Curée et de l’Idole. Du Pianto, Alfred de Vigny disait : « C’est beau, mais ce n’est plus lui ».

Le mètre des Iambes a été emprunté à Chénier ; outre le mètre, quelque chose de la facture et même du ton : seulement Barbier force la note et charge le style. Cet artiste ingénieux, que le tour naturel de son esprit portait de préférence vers les délicatesses et les élégances de la forme, vers l’expression des sentiments doux et tendres, a eu, dès le début même de la carrière, un accès de fièvre héroïque, ou, comme on l’a dit, un jour de sublime ribote. Pour peindre les effrontés coureurs de salons, l’émeute battant les murs comme une femme soûle, le pâle voyou, tous les vices et toutes les hontes bouillonnant dans l’infernale cuve, il s’est fait un vers cru, une parole « que le cynisme des mœurs a salie», un style hyperbolique qui pousse l’énergie jusqu’à la brutalité. La fille de taverne lui a versé avec son vin bleu une éloquence chaude et populaire qui déborde et jaillit à gros bouillons. Un souffle puissant anime ses tirades : toutes vibrantes de passion, elles emportent dans leur allure effrénée les vocables cyniques, les métaphores grossières, les rimes impudentes, les rauques déclamations, dont le train sonore et rutilant se déchaîne au milieu du bruit et de la fumée.

Brizeux fut un poète discret et timoré, d’un art infiniment attentif, d’une sensibilité fine, compliquée et précieuse. Il a quelque ressemblance avec Alfred de Vigny. Ce qui lui manque, c’est la passion, l’essor lyrique, ce qu’on appelle le coup d’aile.