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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

cour » par « une littérature de peuple », c’est au peuple qu’il lui fallait nécessairement s’adresser, et s’adresser au peuple, c’était créer un nouveau théâtre. Autrefois « le peuple n’avait été qu’une épaisse muraille sur laquelle l’art ne peignait qu’une fresque » : on pouvait maintenant, on devait « ébranler les multitudes et les remuer dans leurs dernières profondeurs ». Le drame seul donnerait au mouvement romantique un caractère véritablement national.

Si, parmi les poètes contemporains, il y avait de purs élégiaques, d’autres n’avaient vu dans la poésie lyrique qu’une sorte de « prélude ». Victor Hugo, qui prit dès le début la direction du romantisme, en considéra tout d’abord le drame comme l’aboutissement nécessaire et définitif. Dans le manifeste qu’il publie en 1827 et qui sert de programme à la nouvelle école, c’est au théâtre que l’auteur de Cromwell ramène la poésie. D’après lui, l’humanité a traversé l’âge du lyrisme et celui de l’épopée ; elle est maintenant dans l’âge dramatique, et l’art, sans renoncer à ses autres formes, se résumera de plus en plus sous celle du drame. L’ode et l’épopée contiennent le théâtre en germe, mais il les contient l’une et l’autre en développement ; pour notre civilisation contemporaine il est « la poésie complète. »

L’importance capitale et la nécessité d’une renaissance dramatique étaient depuis longtemps senties. Nous avons dit les susceptibilités ombrageuses contre lesquelles se heurtèrent d’abord les novateurs ; mais l’apprentissage du public se faisait peu à peu, et son respect des traditions n’allait pas sans quelque lassitude. « Le signe principal du mouvement qui se prépare, écrit en 1820 M. de Rémusat, est le dégoût du spectateur pour les ouvrages conçus et exécutés dans les règles. Il semble que tous les moyens de l’émouvoir aient perdu l’efficacité. En vain cherche-t-on à les renouveler en les déguisant ; il les reconnaît et s’ennuie. » La tragédie du xviie siècle, immortalisée par tant de chefs-d’œuvre, avait épuisé toute sa fécondité. Faite pour une société monarchique et aristocratique, pour une élite de beaux esprits et de courtisans, elle était en désaccord mani-