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LE DRAME ROMANTIQUE.

feste avec le nouvel état social. Certains poètes avaient essayé de la rajeunir ; mais il ne s’agit plus maintenant de faire quelques concessions à l’esprit de réforme : ce qu’il faut, c’est une véritable révolution, qui, abolissant les formules conventionnelles, y substitue un régime tout nouveau, fondé sur la vérité et sur la nature. « Il n’y a ni règles ni modèles, proclame Victor Hugo, ou plutôt il n’y a d’autres règles que les lois générales qui planent sur l’art tout entier, et les lois spéciales qui pour chaque composition résultent des conditions d’existence propres à chaque sujet. »

La théorie du nouveau théâtre s’élaborait d’ailleurs depuis la fin du xviiie siècle. Après Diderot et Mercier, Mme de Staël avait battu en brèche tout ce qui faisait de notre tragédie un art factice dans la perfection même de ses formes. En même temps, Manzoni écrivait sa lettre sur les unités dramatiques. Un peu plus tard, Stendhal escarmouchait en tirailleur contre notre ancien théâtre dans la série de brochures qu’il recueillit sous le titre de Racine et Shakespeare. Le journal le Globe vint ensuite donner aux réformateurs l’appui d’une critique grave et pénétrante. Avant même qu’aucun essai se fût produit sur la scène, le nouveau théâtre avait déjà sa poétique toute faite. Victor Hugo la résuma avec éclat dans une fameuse préface ; Alfred de Vigny la reprit quelque temps après dans son avant-propos d’Othello. Ces deux manifestes renferment une théorie complète du drame romantique.

Le xviie siècle séparait rigoureusement la comédie de la tragédie. Il sacrifiait la réalité à cet idéal de noble harmonie qui domine toutes les œuvres classiques. Le public du temps voulait, non seulement l’unité d’intérêt, mais celle d’impression. Tout, dans la tragédie, devait être grave, pompeux, auguste. Les vices, les ridicules, le laid, en étaient bannis. Le crime n’y entrait que s’il avait un air de grandeur imposante. Au théâtre, la vie se partageait en deux portions entièrement distinctes, dont l’une était attribuée à Melpomène et l’autre à Thalie. La tragi-comédie n’est pas, à vrai dire, un mélange des deux éléments ;