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LE DRAME ROMANTIQUE.

et là son dernier soupir s’exhale en une tirade de cent cinquante vers. L’individualité morale est elle-même réduite à son expression la plus simple. Qu’il appartienne à la comédie ou à la tragédie, le personnage classique ne laisse jamais paraître les traits particuliers qui donnent à chacun de nous sa physionomie personnelle ; il ne nous montre que des traits généraux en accord avec l’impression unique que le poète a voulu produire.

Après nos tragédies et nos comédies du xviie siècle, les novateurs romantiques estimèrent qu’il y avait quelque chose à faire, le drame ; après les abstractions de vertus et de vices que le théâtre classique mettait sur la scène, ils estimèrent qu’il y avait quelque chose à représenter, l’homme. Le romantisme dramatique est avant tout la substitution du concret à l’abstrait et du particulier au général. Mêler la comédie à la tragédie, c’était déjà rompre en visière à l’abstraction classique ; en les fondant l’une avec l’autre dans le drame, les réformateurs du théâtre obéissaient à un besoin de vérité réelle et vivante qui modifia la formule tout entière de l’art dramatique, et que nous retrouvons d’abord dans la conception même des personnages.

Les romantiques veulent mettre sur la scène non plus des types, mais des individus. Le théâtre du xviie siècle représentait l’ambition, l’avarice ; ils représenteront un homme ambitieux, un homme avare. Cet homme, ils commenceront par l’incarner : l’avarice ou l’ambition sont incorporelles, mais l’homme avare ou l’homme ambitieux ont besoin d’un corps. Ils lui donneront par suite un âge, un tempérament, une figure ; ils mettront autant de soin à l’individualiser par les traits extérieurs que les classiques à éliminer ces traits, inconciliables avec la vérité universelle, permanente, abstraitement humaine, qui était le but et le triomphe de leur art. Ils peindront, non plus une passion, non plus même l’homme passionné, mais un homme que la passion anime. Ils ne se borneront pas à montrer, en les matérialisant le moins possible, les caractères essentiels et constants de cette passion ; ils observeront non plus la passion en elle---