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LE DRAME ROMANTIQUE.

domaine, et ce sont ces différences qui, après avoir modifié les personnages eux-mêmes, se traduisent ensuite par des détails particuliers de mœurs, de langage, de costume de vie domestique, par cette exacte mise en scène qui prête au drame son caractère de réalité précise.

Pour nos poètes classiques, le théâtre n’était point un tableau de la vie réelle ; ils voyaient avant tout dans l’œuvre dramatique une composition délicate et savante dont l’art consistait justement à rectifier la nature, à lui imposer une discipline, à choisir entre les données qu’elle offre et à disposer celles qu’on a choisies d’après les lois de la raison. Nos règles des unités expriment catégoriquement cette conception fondamentale : elles étaient une limite prescrite par l’art à la nature, elles avaient pour but comme pour effet d’empêcher que le sujet ne se dispersât à travers le temps et l’espace. C’est à elles que notre théâtre classique doit pour une large part cette concentration puissante, cette vigoureuse sobriété, qui en est le caractère distinctif. Mal défendues bien souvent par des raisons de vraisemblance, les unités de temps et de lieu avaient une réelle valeur comme garantissant l’unité d’action.

Si le romantisme les abolit, c’est parce qu’il y voit l’application d’un art tyrannique. Comme, dans la conception des personnages, il note avec soin ces détails individuels qu’éliminait la tragédie du xviie siècle, de même, dans la conduite de l’action, il est beaucoup moins préoccupé d’émonder ce que la réalité offre de complexe ou de touffu que d’éviter ce qui pourrait donner au drame l’apparence de quelque savante machine. Dans l’ancien système, toute tragédie était le dénouement d’une action déjà mûre qui ne tenait plus qu’à un fil, et l’habileté du poète consistait à préparer ce dénouement dès l’exposition, à nous y conduire tout droit par quelques péripéties ingénieusement imaginées. L’ouverture de la pièce ne pouvant en précéder la fin que d’un petit nombre d’heures, et, d’autre part, tous les acteurs se trouvant réunis dans le même lieu comme tous les intérêts s’y trouvaient concentrés, une tragédie n’était en