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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

toute son étendue qu’une sorte de crise suprême. Les personnages paraissaient dès le premier acte tels qu’ils devaient rester jusqu’au dernier. L’action dans laquelle le poète les engageait avait pour but, non point de développer leur caractère, mais de le manifester. Il ne s’agissait pas de découper une portion de la vie humaine ; il fallait combiner une œuvre de raison et d’art.

Sur ce point comme sur les autres, c’est en faveur de la vérité que les romantiques réclamèrent. « À l’avenir, dit Alfred de Vigny, le poète dramatique prendra dans sa main beaucoup de temps et y fera mouvoir des existences entières…. Il laissera ses créations vivre de leur propre vie et jettera seulement dans leurs cœurs les germes des passions par où se préparent les grands événements ; puis, lorsque l’heure en sera venue, et seulement alors, sans que l’on sente que son doigt la hâte, il montrera la destinée enveloppant ses victimes…. L’art sera en tout semblable à la vie. » Ces quelques mots résument la poétique du drame. Plus d’unité de lieu, plus d’unité de temps. Quant à l’unité d’action, c’est là une loi universelle de toute œuvre d’art, et les novateurs n’ont garde de l’abolir ; mais ils en relâchent la rigueur, ils l’interprètent avec un esprit large, ils en changent même le nom pour l’appeler, conformément à des vues plus libérales, unité d’intérêt ou d’ensemble.

Si la tragédie classique substitue si volontiers le récit à l’action, ce n’est pas seulement parce que le public délicat auquel elle s’adresse cherche sur la scène, non point des spectacles, mais de fines analyses du cœur humain : il y a aussi là une conséquence inévitable des unités. La tragédie ne durant que vingt-quatre heures, il faut bien raconter tous les événements antérieurs qui sont nécessaires à l’intelligence de l’action ; et surtout, puisque la scène ne peut changer, il faut bien que la plupart des faits se passent dans les coulisses, et, par conséquent, qu’une narration nous les expose. Dans Britannicus, pour citer un exemple, Shakespeare nous aurait montré Néron présentant à son frère la coupe empoisonnée, Narcisse déchiré par le peuple,