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LE DRAME ROMANTIQUE.

Junie se jetant aux pieds de la statue d’Auguste. Mais les règles classiques interdisaient à Racine de transporter la scène sur une place publique ou même dans une autre salle du palais. Comme le dit Victor Hugo, la tragédie du xviie siècle ne nous laisse voir bien souvent que les coudes de l’action, dont les mains sont ailleurs. Débarrassés des unités de temps et de lieu, les romantiques pouvaient dès lors représenter sur leur théâtre un drame non seulement plus vif et plus pittoresque, mais encore plus conforme à la réalité.

La tragédie excluait tous les éléments qui n’étaient pas indispensables à la vérité morale, la seule qu’elle se proposât. Elle ne laissait entrer dans son cadre rien de fortuit. Sauf quelques pâles comparses, uniquement chargés de donner la réplique aux héros, elle n’introduisait d’autres personnages que les protagonistes. Quant aux faits, les seuls qu’elle admît étaient ceux qui formaient la trame même de l’action. Elle visait partout à simplifier la nature. Elle élaguait les hasards et corrigeait les détours. Elle réduisait le plus possible son matériel et ses agents. Elle consistait en un problème de mécanique. Racine considérait comme à moitié faite une pièce dont il avait dessiné le plan. Or, dessiner le plan d’une pièce, c’était justement chercher une ordonnance simple et sobre qui économisât les faits et les personnages en substituant le choix réfléchi de l’art à l’aventureuse prodigalité de la nature.

Les romantiques s’élevèrent dès le début contre « ces tragédies dans lesquelles un ou deux personnages se promènent solennellement sur un fond sans profondeur, à peine occupé par quelques tètes de confidents chargés de remplir les vides d’une action uniforme et monocorde. » Alfred de Vigny demandait que « l’action entraînât autour d’elle un tourbillon de faits ». Et Victor Hugo : « Au lieu d’une individualité, comme celle dont le drame abstrait de la vieille école se contente, on en aura vingt, quarante, cinquante, que sais-je ? de tout relief et de toute proportion. Il y aura foule dans le drame. » C’est qu’il ne s’agit plus de peindre