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LE DRAME ROMANTIQUE.

génie. Il semble ne voir dans le drame que certains points culminants au sommet desquels il s’empresse de gravir pour y entonner un de ces vibrants couplets où son éloquence se donne pleine carrière. Ce qui manque le plus aux pièces de Victor Hugo, c’est une analyse profonde et complète des caractères qu’il pose avec tant de vigueur. Si nous y trouvons çà et là d’admirables fragments psychologiques, le poète ne nous donne jamais toute une âme, et trop souvent il remplace la psychologie par une superbe rhétorique de sentiment.

Trop lyrique par là, il l’est aussi parce qu’il ne s’abstrait pas de lui-même : nous le retrouvons, plus ou moins visible, dans toutes ses créations. Les personnages de Victor Hugo « vivent de son souffle et parlent avec sa voix ». Parfois, ce sont purement des êtres de fantaisie. Hernani, Didier, Ruy Blas, héros tout « romantiques », représentent, non pas l’âme du poète, mais son imagination. Ils n’ont pied ni dans l’histoire ni dans la vérité humaine.

À ce défaut s’en ajoute un autre, non moins incompatible avec cette « vérité » dont le romantisme s’était donne comme le restaurateur. Il n’y a qu’à lire les préfaces de Victor Hugo pour voir comment il conçoit le sujet et les personnages de ses pièces. Ce qui lui apparaît tout d’abord, ce ne sont pas des hommes vivants et des événements réels, mais des formules logiques. Les quatre personnages les plus importants de Ruy Blas « représentent les principales saillies qu’offrait au regard du philosophe historien la monarchie espagnole il y a cent quarante ans ». « L’idée qui a produit le Roi s’amuse », c’est que l’amour paternel transforme la créature la plus dégradée par la difformité physique. L’idée qui a produit Lucrèce Borgia, c’est que l’amour maternel purifie la difformité morale. La conception primitive d’Angelo consiste à mettre en présence la femme dans la société et la femme hors de la société pour défendre l’une contre le despotisme et l’autre contre le mépris. Enfin, « la pensée que le poète a tenté de réaliser dans Marie Tudor », la voici : « une reine qui soit une femme, grande