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LE DRAME ROMANTIQUE.

Quant à sa conception fondamentale du théâtre, Alfred de Vigny l’a fait connaître dés le début. « Si l’art est une fable », il doit « être une fable philosophique ». Lui-même a donné l’explication rationnelle de toutes ses pièces. La Maréchale d’Ancre provient, aussi bien que Chatterton, d’une idée abstraite. « Au centre du cercle que décrit cette composition, un regard sur peut entrevoir la Destinée, contre laquelle nous luttons toujours, mais qui l’emporte sur nous dès que le caractère s’affaiblit ou s’altère ». Il n’est pas jusqu’à la petite comédie de Quitte pour la peur qui, d’après le poète, ne renferme « une question bien grave sous sa forme légère ». Alfred de Vigny déclare le temps venu de ce qu’il nomme le « Drame de la pensée », et c’est ce drame qu’il veut substituer à celui de la vie et de l’action.

Alexandre Dumas s’oppose directement à lui par son inépuisable fécondité, la fougue de son tempérament, sa verve expansive, son amour sensuel de la vie, du mouvement, de la couleur, de tout ce qui s’agite et brille. L’auteur de Henri III portait dès 1829 sur la scène des moyens dramatiques d’une rare vigueur. Nul poète contemporain ne l’égala pour le don de l’effet, la fertilité des expédients, l’adresse et le bonheur de la mise en scène. Ses pièces durent leur prodigieuse vogue à des qualités vraiment dramatiques (le théâtre n’est-il pas le genre populaire par excellence ?), mais que ne soutient chez lui aucun fond de sérieuse étude et que ne rehausse aucune visée supérieure. Sa merveilleuse puissance d’assimilation a parfois ressuscité le passé ; mais ses drames n’ont trop souvent d’historique que l’appareil extérieur, des costumes, des détails qui tirent l’œil. La couleur locale n’est qu’à la surface de l’œuvre. Il ne considère l’histoire, lui-même le dit hautement, que comme « un clou pour accrocher ses tableaux ». Quant à la vérité humaine, il s’en est soucié beaucoup moins que de pittoresques décors ou de saisissantes péripéties. Il s’adresse aux sens des spectateurs, à leurs nerfs. Ce qu’il montre n’est guère que le dehors de l’homme