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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

introduit dans l’histoire cette vue supérieure des races, qui était réservée à une si haute fortune. Toutes ses prédilections sont pour le vaincu, pour l’opprimé ; c’est le peuple conquis qu’il veut retrouver en racontant la conquête. Il a le sens divinateur de la sympathie, l’intelligence de l’âme, la faculté d’être ému, de se représenter non pas seulement les formes et les couleurs, mais aussi les passions. À l’imagination des yeux il associe celle du cœur. D’autres pousseront l’analyse plus avant : mais l’initiative vient de lui. Il a donné le branle. Il a fait de la composition historique une œuvre d’art et de science dans laquelle l’exactitude matérielle est un moyen d’atteindre la vérité morale en donnant aux événements leur signification, leur caractère pittoresque, leur vie enfin, cette vie animée et dramatique qui ne doit jamais manquer au spectacle des choses humaines.

Uniquement soucieux de raconter les événements dans leur succession naturelle en se dérobant lui-même derrière eux, Barante est par excellence le représentant de la méthode narrative. L’histoire, comme un sophiste docile, s’est prêtée à toute démonstration ; il veut laisser les faits parler d’eux-mêmes au lecteur. Ce qu’il a de mieux à faire, c’est de reproduire nos vieilles chroniques avec leur saveur naïve, en les complétant les unes par les autres, en y rectifiant les erreurs de faits ou de dates, en y portant l’ordre et la clarté. Il détache de nos annales une des époques les plus fécondes en événements et en résultats, et qui est aussi une des plus riches en chroniqueurs. Il choisit pour sujet les progrès et la chute de la maison de Bourgogne, et donne ainsi à sa narration une unité qu’elle n’aurait pas eue à titre d’histoire générale. Il prétend lutter d’attrait avec le genre de Walter Scott ; il veut unir dans son ouvrage à tout le profit de l’histoire tout l’intérêt du roman historique. On lui reproche son abstention, cette impersonnalité même dont il se pique, un effacement de soi par trop scrupuleux qui semble exclure tout jugement moral. Répondons avec lui-même que l’historien, quand il présente les faits claire-