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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

l’histoire des premiers siècles de l’ère moderne « ne mérite pas plus d’être écrite que celle des ours et des loups ». Cette aversion pour les âges barbares, ce dédain des classiques pour tout ce qui ne cadrait pas avec la politesse élégante de leur civilisation, retarda jusqu’à notre siècle la renaissance des études historiques, qui, pour être féconde, devait s’attacher tout d’abord à débrouiller nos antiquités. Plus libres d’esprit et moins dégoûtés que leurs devanciers, éclairés d’ailleurs par les grandes mutations dont ils avaient été les témoins, nos historiens retrouvent la tradition de ces époques confuses dans lesquelles on ne voyait avant eux que ténèbres impénétrables ou rebutante barbarie, et c’est ainsi que l’école philosophique de notre temps inaugure une conception de l’histoire plus libérale parce qu’elle est moins asservie aux systèmes, plus solide parce qu’elle repose sur l’étude approfondie des documents, plus pénétrante parce qu’elle juge les révolutions antiques à la lumière des révolutions modernes.

Cette école a pour chef Guizot, qui partage avec Augustin Thierry la gloire d’avoir renouvelé les études historiques. L’un était un peintre, l’autre un penseur et un politique. Guizot cherche d’abord un fil conducteur dans le labyrinthe des faits : il veut ramener l’histoire de la civilisation en France et en Europe à certains éléments constitutifs dont il suivra la marche parallèle à travers les âges. Ces éléments sont au nombre de quatre : l’Église, la royauté, la noblesse, les communes. Il y rattache tous les phénomènes historiques dans leur infinie diversité. Les quatre facteurs primitifs rendent raison de tout. De leurs groupements ou de leurs conflits respectifs dérive notre histoire. Le progrès consiste dans leur évolution continue et pour ainsi dire fatale, et le meilleur régime social est celui qui parvient à les équilibrer.

C’est du haut de sa raison que Guizot considère l’histoire. Il en voit se dérouler devant lui l’ordre harmonieux dans lequel viennent se fondre les irrégularités de détail et les apparentes dissonances. Son esprit méditatif et géné-