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L’HISTOIRE.

ralisateur considère les faits non en eux-mêmes, dans leur contingence passagère, mais comme l’expression de lois constantes qui seules peuvent en donner le sens. Il les ramène aux idées ; il en saisit la teneur, l’enchaînement régulier et systématique. De ce réseau enchevêtré il fait comme un solide tissu de déductions rationnelles. Il règle le désordre, il discipline les masses tumultueuses des événements qui marchent sous ses yeux avec une docile assurance dans les routes que sa ferme sagacité leur assigne. Hasard, imprévu des choses, caprices des hommes, rien n’altère ces lignes fondamentales que la haute raison de l’historien a tracées et dont sa profonde analyse vérifie infailliblement la justesse.

Les généralisations de Guizot s’appuient sur une science aussi sûre qu’étendue. Mais il a cherché ses principes plutôt au-dessus qu’au dedans des faits. C’est la méthode elle-même qui prête aux critiques. Une histoire systématique ne peut manquer d’être fausse. Si vaste et si sagace qu’on suppose l’érudition de l’historien, quelque prudence qu’il observe dans le passage des faits aux lois, toute construction rationnelle est condamnée d’avance à n’atteindre qu’une portion de la vérité. Les formules générales ne peuvent jamais comprendre tous les phénomènes particuliers sur lesquels on veut leur donner prise. Si l’histoire est une science, elle ne saurait l’être comme la géométrie : elle a pour domaine un monde dans lequel interviennent les volontés particulières, les passions individuelles, tous les égarements de l’homme et toutes les incartades de la destinée. Qui peut se vanter d’avoir trouvé la ligne idéale au delà comme en deçà de laquelle il n’y a plus que déviation ? Dans l’œuvre de Guizot, bien des parties sont vraiment définitives. Louons-le d’avoir si fortement appliqué sa faculté généralisatrice à tirer l’histoire du champ des hasards et des doutes pour lui donner une assiette solide, mais défions-nous pourtant de ce plan trop simple qu’il impose à l’immense complexité des faits, et dont les traits symétriques forment comme des mailles par où passe tout