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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

ce que les choses humaines renferment d’accidentel et d’extravagant. On est si enclin à proclamer nécessaire ce qui arrive, impossible ce qui n’aboutit pas, et, par cela même qu’une chose s’est faite de telle manière, à déclarer qu’il fallait que cette chose se fit et qu’elle ne pouvait se faire autrement !

Guizot porte jusque dans ses récits les mêmes préoccupations. L’Histoire de la Révolution d’Angleterre est conçue comme une thèse de mécanique sociale. Ce qu’il veut, c’est rechercher « quelles causes ont donné à la monarchie anglaise le solide succès que la France et l’Europe poursuivent encore ». Il ne faut lui demander ni de vives peintures, ni des scènes animées. Étranger à toute curiosité comme à toute passion, il supprime l’élément décoratif et dramatique de l’histoire. Loin de développer les événements, il met tout son art à les condenser ; il en fait non pas des tableaux qui parlent à l’œil, mais des résumés systématiques qui les subordonnent à quelque théorie rationnelle. Content de les dominer, il ne s’y mêle point, il les regarde passer au-dessous de lui. Il ne raconte pas, il dogmatise. C’est un philosophe et un homme d’État qui cherche, non des spectacles, mais des leçons.

La conception que Guizot s’est faite de l’histoire indiquerait assez d’elle-même quel est le caractère de son style. Il écrit avec force, avec grandeur, sans éclat. S’il manque de chaleur, c’est qu’il considère les événements avec la sérénité d’un juge ; s’il manque de mouvement, c’est qu’il s’attache, non. pas à rendre le tumulte des choses humaines, mais à les fixer dans un ordre immuable et définitif ; s’il manque de coloris, c’est qu’il fait de l’histoire un enchaînement d’idées et non une succession de scènes. Les idées lui fournissent, non des couleurs, mais des lignes, un dessin ferme, un peu raide, où nous retrouvons, non pas le mobile tableau des faits, mais la raison grave et hautaine de l’historien qui les régente. Les idées ne se peignent pas ; Guizot les grave d’un trait sévère. Sa diction est terne, abstraite, monotone ; il répand sur tout je ne sais quelle teinte gri-