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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

dédain de l’art qui ne s’emploie pas uniquement à soutenir le naturel, explique les défauts de sa manière d’écrire. L’aisance, chez lui, est souvent lâche ; il y a dans son style trop de laisser-aller. Sa négligence va parfois jusqu’à l’incorrection. Nulle part on n’a l’impression d’une forme définitive. « Je suis convaincu, a-t-il dit, que les plus beaux vers, les plus travaillés, ne coûtent pas plus de peine qu’une modeste phrase de récit. » On ne sent aucune peine chez lui, et ce n’est certes pas un reproche à lui adresser ; mais trop de défauts nous font douter qu’il en ait pris. Nous voudrions qu’il eût effacé bien des redites, corrigé bien des négligences, élagué bien des longueurs, qu’il eût donné à l’expression plus de fixité, plus d’accent, plus de trempe. Ses défauts sont d’ailleurs liés à de telles qualités de libre mouvement et de naturel, de souplesse, de simplicité transparente, qu’ils se fondent pour ainsi dire et disparaissent dans le courant large et continu du récit. À considérer l’histoire comme une œuvre d’exposition pratique, qui, procédant de la seule intelligence, s’adresse de même à l’intelligence seule, nul doute qu’il n’en ait rempli la perfection. Sa manière d’écrire elle-même, sauf quelques taches légères, devient alors le modèle du genre historique, et l’on peut dire de lui que c’est un grand écrivain qui n’a pas de style.

De Thiers à Michelet, il y a la différence d’un praticien à un poète, d’un esprit qui a besoin de tout comprendre à un cœur fait pour tout sentir. L’un se représente avec une clarté merveilleuse des faits, des opérations, toute la partie active et technique de l’histoire ; l’autre se figure avec une extraordinaire vivacité l’âme des hommes et celle des siècles.

Ce qui caractérise avant tout Michelet, c’est l’imagination. L’histoire, pour lui, ne fut de plus en plus qu’une évocation magique des âges passés. Sous ce poète, il y a un érudit : il a tout lu, tout déchiffré ; travailleur infatigable, il puise toujours aux sources, et nul n’est moins disposé que lui à méconnaître la valeur des documents ou