Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire au XIXe siècle, 1900.djvu/218

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
210
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

uniquement captivé par le spectacle du monde et n’y trouvant qu’une jouissance pour ses yeux. Elle vient du cœur ; elle est profondément imbue d’une tendresse et d’une pitié toujours prêtes à s’émouvoir. Michelet ne vit que par le sentiment. Si son esprit « entre dans toutes les doctrines », c’est que son âme « se passionne pour toutes les affections ». Il a le génie de la sympathie. L’intelligence chez lui est comme une forme de la sensibilité. Il saisit les choses par l’amour. Il ne comprend qu’à force d’aimer. Dès son enfance comprimée et souffreteuse, il sent une irrésistible ardeur de dévouement qui le porte de préférence vers les faibles et les déshérités de la terre. Toute sa philosophie politique se ramène à une immense charité. En lui bat le cœur des foules obscures. Il voit, il sent dans le « Peuple » une multitude de frères sur laquelle il se penche pour recueillir leurs espérances, leurs rêves, leurs appels, leurs sublimes explosions de patriotisme, leurs indomptables élans vers la justice idéale. Incapable de se contenir, il vibre au moindre souffle. Les misères des autres le font gémir, leurs joies dilatent son âme, leurs enthousiasmes le transportent et l’exaltent. À travers le cours des âges, il n’est aucune époque dont Michelet ne se soit fait le contemporain. Nul n’a exprimé ni avec une aussi délicate piété les émotions mystiques du moyen âge, ni avec une ferveur aussi communicative les bouillonnements et les délires de l’époque révolutionnaire. Il s’identifie d’instinct avec tout ce que l’humanité lui offre de grand, de pur, de noblement inspiré ; catholique avec saint Bernard, il devient protestant avec Luther ; après avoir canonisé Jeanne d’Arc, il fait l’apothéose de Danton.

Michelet est le plus passionné des historiens. Il a le ton du pamphlet et celui du dithyrambe, l’ironie stridente et la tendre pitié, les hymnes d’enthousiasme et les cris de colère. Il n’assiste pas en spectateur au drame de l’histoire : il monte lui-même sur le théâtre ; il se mêle aux acteurs, intervient dans leur jeu, les apostrophe, anime toute la scène de son exaltation frémissante. Les premières