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L’HISTOIRE.

fois qu’il improvisa ses leçons au Collège de France : « Je suis sur de ne pas rester court, disait-il, parce que ce que je raconte, c’est moi ! » Il se raconte lui-même d’un bout à l’autre de son œuvre. Il se met tout entier dans l’histoire avec ses ardeurs, ses transports, ses extases. Il s’y confesse tantôt aux lecteurs, tantôt aux personnages eux-mêmes. Toujours sincère, il ne saurait être impartial. L’impartialité ne peut se concilier avec la tension incessante de ses nerfs, avec l’acuité maladive de ses impressions. Il n’y voit qu’un signe d’indifférence et comme l’abdication de soi-même

Le plus original, le plus personnel des écrivains, c’est le moins régulier aussi et le moins classique. Point de périodes chez lui. Sa phrase se brise à tout moment, bouillonne, sursaute, écume. Il violente la syntaxe, il la viole parfois. Il multiplie les inversions, les ellipses, les métaphores. La langue a beau regimber, se cabrer, demander grâce à ce furieux cavalier ; toute haletante, il la presse encore, il redouble les coups d’éperon. Pour Michelet, le style ne fait qu’un avec l’idée ou plutôt avec le sentiment ; style sans règle, sans mesure, impatient, tendu, fiévreux, dont les perpétuels soubresauts cahotent notre attention et détraquent notre jugement. C’est le style d’une imagination toujours en branle, d’une sensibilité toujours vibrante. Il nous surmène par la violence même des effets, il ébranle en nous la machine nerveuse, il force la sensation. Ne lui demandons pas une composition méthodique, pas même un récit continu. L’émotion qu’il ne peut maîtriser jaillit çà et là en apostrophes, en cris d’enthousiasme, en anathèmes. Il procède par impétueuses saillies. Dans son Histoire de France, parvenu au xvie siècle, il saute brusquement jusqu’à la Révolution, sous prétexte qu’elle renferme le secret des âges antérieurs : ce qu’il a fait là en grand, c’est ce qu’il fait en petit à chaque page de son œuvre. Sa narration est sans teneur ; elle avance par saccades, elle a pour fil une ligue brisée. Ce qui chez d’autres s’appelle le mouvement devient chez lui de l’agitation, je ne sais