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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

sans en étaler l’appareil. Indiquons d’après lui quel est l’esprit général de sa critique et comment elle procède. D’abord elle prend l’écrivain supérieur ou distingué dans son pays natal, puis dans sa race, dans ses ascendants et ancêtres, quand ces racines profondes se laissent découvrir, sinon, elle le reconnaît du moins dans ses parents, dans sa mère surtout, dans ses sœurs aussi, dans ses frères, dans ses enfants même, dans tous ceux de son sang chez lesquels le fond du grand individu se retrouve plus à nu et à l’état simple. Après cela vient le chapitre des études et de l’éducation. Un point essentiel à déterminer, c’est le premier milieu, le premier groupe d’amis et de contemporains dans lequel l’écrivain se trouve au moment où son talent devient adulte. Chaque ouvrage, examiné de la sorte, après qu’on l’a replacé dans son cadre et entouré de toutes les circonstances qui l’ont vu naître, acquiert tout son sens et reprend son degré juste d’originalité, de nouveauté ou d’imitation. Un autre temps non moins décisif à noter, c’est le moment où le talent se gâte, où il dévie, où, parmi les auteurs, les uns se raidissent et se dessèchent, les autres se lâchent et s’abandonnent, les autres s’endurcissent, s’alourdissent, quelquefois s’aigrissent. Enfin, pour tenir un homme tout entier, on ne saurait s’y prendre de trop de façons et par trop de bouts ; il faut s’adresser sur lui un certain nombre de questions, dussent-elles sembler le plus étrangères à la nature de ses écrits. Que pensait-il en religion ? Comment était-il affecté du spectacle de la nature ? Comment se comportait-il sur l’article des femmes ? sur l’article de l’argent ? Était-il riche, était-il pauvre ? Quel était son régime, quelle était sa manière journalière de vivre ? Quel était son vice ou son faible ? Un dernier moyen d’observation, c’est d’étudier les talents dans leur postérité morale, dans leurs disciples et leurs admirateurs naturels, et encore dans leurs contraires et leurs antipathies, dans les ennemis qu’ils soulèvent et s’attirent sans le vouloir. Tels sont les procédés de cette méthode, de cette pratique, qui a été de bonne heure comme naturelle à Sainte-Beuve,