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LE ROMAN.

pour un divertissement frivole, le roman avait échappé ainsi aux définitions et aux règles d’une critique qui ne daignait pas s’en occuper. Il n’y a guère plus de cinquante ans, Villemain osait à peine le faire entrer dans l’histoire littéraire, et ne l’admettait du moins qu’en langue grecque. La nature même du genre se prêtait d’ailleurs à tous les sujets et à tous les tons ; aussi, favorisé par les conditions sociales, devait-il en notre temps prendre les formes les plus diverses et refléter les multiples aspects de l’âme moderne. Et, s’il n’est au xixe siècle aucun sentiment, aucune idée, qui n’y trouve son expression, il n’est aucune école de quelque importance qui n’ait tenté d’en renouveler la formule d’après ses vues particulières, aucune conception de l’art à laquelle il ne se soit accommodé. Il avait été d’abord une effusion de sensibilité personnelle. Il s’appliqua ensuite à faire revivre les siècles passés dans leurs personnages, leurs mœurs et leurs costumes. Quittant l’histoire pour la société contemporaine, il se divisa enfin, sans sortir de ce cadre même, en deux genres bien distincts et répondant à deux tendances irréductibles de l’esprit : les uns, regardant la vie réelle à travers leur imagination éprise de beauté, de vertu, de bonheur, en rendirent un tableau toujours idéalisé dans sa vérité même ; les autres, armés dune analyse sagace et pénétrante, s’étudièrent à la voir telle qu’elle est et à la représenter telle qu’ils l’avaient vue.

On sait comment le romantisme renouvela l’histoire. Au mouvement général des esprits vers les études historiques concourut d’une part l’investigation érudite, qui analysait les monuments avec une rigueur jusqu’alors inconnue, de l’autre une sensibilité divinatrice qui, non contente de l’exactitude purement matérielle, donnait aux scènes des anciens âges la couleur, l’animation, l’accent même de la vie. Tandis que les historiens se tenaient dans le cadre d’événements auxquels il leur était interdit de rien changer, les romanciers qui transportaient leurs sujets en des époques plus ou moins lointaines pouvaient mettre à profit ce