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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

qu’elles offraient par elles-mêmes de pittoresque en appliquant leur faculté d’invention aux faits et aux personnages. Après tout, le roman historique, tel que le conçut la génération de 1830, ressemble fort à l’histoire romanesque telle que la traitait l’école descriptive : il était annoncé par les Récits mérovingiens comme le drame historique le fut par les Scènes de la Ligue. Ne peut-on même voir un véritable roman dans ce poème des Martyrs qui révéla à Augustin Thierry sa vocation ? Et, en se rappelant avec quel transport d’enthousiasme l’auteur de la Conquête de l’Angleterre célébrait Walter Scott, ne serait-on pas tenté de dire que nos premiers historiens eurent des romanciers pour maîtres ?

Au lieu de prendre ses sujets et ses héros dans la société du temps, le roman alla d’abord les emprunter à l’histoire des siècles passés ; c’est que les romanciers d’alors sont avant tout des poètes, dont l’âme sent le besoin d’échapper à la vie réelle, de se figurer un costume plus brillant, des passions plus énergiques, d’évoquer, dans la perspective d’un âge lointain, ces rêves sublimes auxquels répondent si mal les platitudes du milieu contemporain. Le romantisme se dépayse volontiers dans le temps comme dans l’espace. Il fuit les banalités ambiantes en se transportant à plusieurs centaines d’années aussi bien qu’à plusieurs centaines de lieues. Il va chercher tantôt dans les époques reculées, tantôt dans les civilisations exotiques, ce merveilleux dont son imagination est éprise, ces prestigieuses décorations dans lesquelles viendront s’encadrer d’eux-mêmes les événements extraordinaires et les personnages surhumains. Si les trois principaux représentants du roman historique sont justement les trois poètes qui fondèrent le drame moderne, Vigny, Hugo et Dumas, il n’y a pas là une rencontre fortuite. Sans doute, chacun des deux genres a ses conditions et ses nécessités spéciales ; mais, dans la diversité de leurs moyens, c’est le même idéal que tous deux cherchent à réaliser. Le romantisme s’est peint en l’un comme en l’autre avec ses élans de sentimentalité fervente, son besoin d’émotions fortes, son dédain de la