Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire au XIXe siècle, 1900.djvu/245

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
237
LE ROMAN.

d’imagination, une aisance dans le récit, un mouvement dans le dialogue, une vivacité de bonne humeur, une fougue de tempérament, qui l’eussent égalé aux plus grands noms du siècle, s’il n’avait compromis tant de merveilleux dons par son insouciante prodigalité, s’il n’avait trop souvent cherché des succès mortels à la gloire. Romancier comme dramaturge il mit l’histoire en coupe réglée ; il sacrifia sa conscience d’écrivain au goût d’un public vulgaire, et les nécessités d’argent firent prévaloir de plus en plus dans son œuvre « la manutention bourgeoise » sur « la combinaison artistique ». il aurait pu être un de nos plus grands romanciers : il ne fut que le plus populaire des amuseurs, le roi du feuilleton.

Les baroques inventions des « feuilletonistes », leurs bigarrures, leurs perpétuels anachronismes, accusaient les périls d’un genre si sujet de lui-même à la fausseté, lorsque, tirant le roman de la fantaisie historique et d’un moyen âge de convention, George Sand en chercha la matière dans les mœurs et les passions contemporaines.

Si George Sand s’abstint de prendre parti dans la grande querelle littéraire du siècle, si son génie spontané ne s’embarrassa jamais d’une poétique, elle n’en appartient pas moins au romantisme, en entendant par ce mot un état général de l’âme plutôt qu’une conception systématique de l’art. Comme tous les poètes de son temps, George Sand est essentiellement « lyrique ». Elle met le meilleur d’elle-même en ses créations. Elle n’admet pas, elle ne peut pas comprendre, que l’auteur se désintéresse de son œuvre. En relation sur la fin de sa carrière avec une école de romanciers qui visent à je ne sais quelle « impersonnalité », elle repousse de toutes ses forces leur théorie, si contraire à ses instincts. L’art impassible ne sera jamais pour elle qu’un art égoïste ; en s’élevant contre la nouvelle doctrine, elle défend l’humanité, que risque de tuer la « littérature », Elle se rattache au romantisme par cette exaltation morale qui est comme un signe du temps, par tout ce qu’il y a