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LE ROMAN.

tient le bonheur, il contient la vertu même. Elle l’a peint supérieur aux lois sociales comme à la volonté humaine, plus fort non seulement que les préjugés du monde, mais aussi que les principes de la morale, et, comme le feu, purifiant tout ce qu’il consume. Elle l’a d’abord idéalisé dans l’adultère ; elle finit par l’idéaliser dans le mariage. Il resta toujours à ses yeux le but suprême de la vie et la suprême forme du bonheur.

« Il n’y a en moi, a-t-elle dit, rien de fort que le besoin d’aimer. » Ne restreignons pas le sens du mot. Ce que nous appelons proprement l’amour et ce « besoin d’aimer », qui fut en elle comme une émanation de tout son cœur, ont peut-être une source commune. George Sand a beaucoup aimé. Elle a eu la vertu par excellence, la charité, qui ouvre les portes du ciel. Elle a versé sur les souffrances humaines tous les trésors d’une inépuisable tendresse. Se donner tout entière, telle fut sa vocation. L’optimisme chez elle et l’idéalisme ne sont qu’une forme de sa bonté native : elle aima tant l’humanité qu’elle n’en vit même pas les vices et les laideurs. La bonté, voilà le fond de son âme ; elle fut bonne, et elle le fut bonnement.

Dès le début, George Sand eut la pleine possession d’un génie qui, sans s’être cherché, se trouva du premier coup. Ni tâtonnements ni reprises : elle atteignit tout d’abord la perfection de sa manière. C’est pour gagner son pain qu’elle entreprit de faire des romans, et il se rencontra qu’elle fut sans y avoir pensé un des plus grands écrivains de son temps. Nature indolente et passive, elle s’absorbait déjà tout enfant en de longues extases ; elle avait l’air d’une « bête ». Ceux qui l’ont connue à l’époque d’Indiana, de Valentine, de tous ces romans orageux qui passionnèrent jusqu’au délire la génération contemporaine, nous la montrent débonnaire, inerte, les yeux un peu ternes, doux et tranquilles, l’air nonchalant et lassé. Elle n’a point d’esprit ; elle ne s’anime pas ; elle semble entre la veille et le sommeil. Elle parle d’une voix monotone avec des gestes lents et placides ; il y a dans toute sa personne quelque chose qui tient de l’auto-