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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

mate maie. Le génie de George Sand est instinctif. Étrangère, pour ainsi dire, à ses propres créations, elle travaille en somnambule. Peu lui importe qu’on mène du bruit autour d’elle ; elle n’en poursuit pas moins sa tâche avec une sûreté calme comme si elle écrivait sous la dictée de quelque maître invisible. Elle-même se compare à une fontaine naturelle. Ses familiers usaient d’une comparaison analogue, mais plus expressive encore dans sa vulgarité : « Supposez, dit l’un d’eux, que vous ayez un robinet ouvert chez vous ; on entre, on vous interrompt, vous le fermez ; les visiteurs une fois partis, vous n’avez qu’à le rouvrir. C’est comme cela chez George Sand. » Elle a sa mesure quotidienne, et elle la remplit sans jamais rayer un mot, sans même avoir besoin de se relire, finissant un roman, dit la légende, à une heure du matin et en commençant un autre de la même haleine. On dirait qu’écrire est chez elle une fonction purement mécanique.

En se mettant à l’œuvre, George Sand ne sait où elle mènera ses héros et ne se demande pas où ses héros la mèneront. De là, ce que la plupart de ses ouvrages ont d’aventureux dans leur développement et de mal équilibré dans leurs proportions. Ils se font d’eux-mêmes au fur et à mesure, et, si cette licence de composition leur prête un grand charme de naturel, c’est au détriment de l’unité, qu’aucun plan arrêté d’avance ne garantit contre les écarts. À ce manque de suite dans l’action correspond le manque de fixité dans les personnages. Il arrive souvent que leur physionomie s’altère ; l’auteur leur prête, chemin faisant, selon les besoins d’un récit qu’elle laisse courir devant elle, des traits qui ne s’accordent guère avec ceux que nous leur connaissions. Ce qu’on peut surtout lui reprocher, c’est que ses caractères, ceux-là mêmes qu’elle a d’abord pris dans l’observation de la réalité, ne tardent pas à perdre pied, à dégénérer en types d’imagination complaisamment formés d’après un modèle tout idéal. Certes, on trouve souvent chez elle une psychologie fine et pénétrante. Nul écrivain n’a mieux saisi, par exemple, les