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LE ROMAN.

natures d’artiste avec leur vivacité sans consistance, leur égoïsme instinctif, leurs puériles susceptibilités ; nul n’a mieux rendu l’âme faible d’hommes restés enfants, chez lesquels la volonté sans ressort ne sait à quoi se prendre ; nul n’a exprimé avec autant de délicatesse ce mélange d’ingénuité virginale et de ruse féminine, de malice et de candeur, de hardiesse provocante et de réserve pudique, ce charme mystérieux et troublant d’un cœur de jeune fille qui s’éveille à l’amour. Mais, s’il y a dans son œuvre des parties d’analyse délicate et profonde, les personnages, il faut bien le reconnaître, y sont en général des conceptions de l’esprit plutôt que des hommes en chair et en os. Ses romans ne donnent pas l’impression de la réalité. « Feuillet et moi, avouait-elle de bonne grâce, nous racontons des légendes. » Et, se comparant à Balzac : « Vous faites la Comédie humaine ; moi, je voudrais faire l’Épopée, l’Églogue humaine. » George Sand est un poète. Elle observe beaucoup moins qu’elle ne contemple ; au lieu de reproduire le réel, elle imagine l’idéal.

Ce qu’il y a de plus admirable en elle, c’est le style. Elle n’avait point étudié son métier d’écrivain ; écrire ne fut jamais pour elle un art, mais un don. Elle montra d’emblée cette sûreté magistrale qui tient du miracle. On peut lui reprocher de la prolixité, une abondance parfois un peu molle. Mais quelle richesse, quel mouvement, quelle harmonie ! C’est un large fleuve qui s’épand en nappes unies et transparentes. Il y a dans ce style comme une félicité bénie, quelque chose d’ample et de généreux, une fraîcheur vivifiante, une savoureuse plénitude, une douceur de lait et de miel.

George Sand n’est plus guère lue. Que restera-t-il d’elle ? Ses romans à grandes passions procèdent de ce romantisme exalté dont le milieu du siècle marque dans tous les genres l’irrémédiable décadence. Il y a beau temps que ses romans socialistes nous font sourire de leurs tirades humanitaires et de leur chimérique optimisme. Ce qui restera de George Sand, ce sont ses pastorales, ce sont quelques simples et