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LE ROMAN.

débarrasser l’art de toute règle factice en le rappelant à la nature, son unique modèle. C’est par haine des préjugés et des conventions que l’auteur de Racine et Shakespeare fit au début cause commune avec eux ; il fut alors le plus impatient d’entre les révolutionnaires et le plus avancé. Mais cet esprit défiant ne s’associa jamais à la restauration religieuse et idéaliste ; il assista en spectateur sceptique au triomphe d’un lyrisme qui ne fut jamais pour lui que rhétorique vide et fausse sentimentalité. Il condamnait sans rémission non seulement la forme de la poésie, mais la poésie elle-même. Ses maîtres se nomment Helvétius et Destutt de Tracy. Il est matérialiste. Il est athée. La sensation, la physiologie, le fatalisme du tempérament, voilà ses articles de foi. Naturellement sensible, il a honte de ses émotions et les déguise sous l’ironie. Aux magnanimes héros romantiques il oppose son Julien Sorel, type de froid égoïsme, sorte de Rolla sans idéal, qui ne vise qu’aux jouissances d’une âpre et desséchante ambition. Il a une telle horreur pour « le ton sublime », qu’il s’interdit toute métaphore. Son style est décoloré pour être plus transparent ; il a la précision et la sécheresse d’un procès-verbal. Avant de se mettre à écrire, Stendhal lisait quelques pages du Code civil.

Sa « profession » fut d’observer le moi. C’est un des hommes qui ont le mieux connu l’homme. Il croit à la prédominance de la complexion et du milieu sur la personne, et par là il annonce Balzac et nos romanciers contemporains. Mais avant tout il est psychologue ; ne se dissimulant pas l’impossibilité de déterminer d’une façon précise l’influence du physique sur le moral, il tourne toute son attention vers l’analyse de la vie intérieure. « Je cherche, a-t-il écrit, à raconter avec vérité et avec clarté ce qui se passe dans mon cœur. » Stendhal est un moraliste, et il porte dans l’étude des sentiments une perspicacité, une finesse, une pénétration, qui l’ont fait nommer par Taine le plus grand psychologue du siècle.

Grand psychologue, mais non pas grand romancier. Ce