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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

le pénétrant scepticisme des écrivains n’osent s’y attaquer : dire du mal de Nicolas porte malheur. Les œuvres purement littéraires de l’époque accusent toutes l’empreinte de ces dogmes classiques que tant de monuments ont consacrés. Voltaire prolonge le siècle de Louis XIV jusqu’à son temps, et trouve moyen d’y faire entrer Mérope : Mérope, en effet, se rattache manifestement à la même école qu’Andromaque, comme le lyrisme artificiel des Rousseau et des Pompignan a sa théorie dans l’Art poétique de Boileau.

C’est seulement vers la fin du siècle qu’apparaissent les précurseurs auxquels on peut faire remonter le mouvement d’où notre littérature contemporaine est sortie.

Trois surtout semblent mériter ce nom. Le premier fait entendre à son temps la voix de la nature, oppose les intuitions du sentiment aux froides analyses, découvre dans le cœur et l’imagination des sources nouvelles de poésie. Le second, par la tournure scientifique de son esprit, par ses prédilections pour la méthode expérimentale, par son goût de la réalité matérielle, peut être considéré comme le chef de cette école qui, alliée d’abord avec le romantisme contre les conventions scolastiques, finira par lui rompre bruyamment en visière pour substituer, dans la deuxième moitié de notre siècle, les documents aux fictions, les « sujets » aux héros, les procédés exacts de la science aux rêves et aux caprices de l’imagination. Le troisième, simple poète, mais poète fervent et exquis, s’il se rattache au xviiie siècle par toutes ses idées, annonce aussi de loin l’avènement d’un art nouveau, soit par son adoration de la beauté plastique et son pieux souci de la forme, soit même par des accents élégiaques ou lyriques qui, trente ans plus tard, lorsque ses vers seront enfin publiés, le feront reconnaître et revendiquer comme un jeune ancêtre par le romantisme naissant. Autour de ces trois écrivains peuvent se grouper tous les symptômes de la rénovation qui se prépare : nous réunirons ici Jean-Jacques Rousseau, Diderot, André Chénier, comme ayant été, à des titres bien divers, les premiers initiateurs du xixe siècle.