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LES PRÉCURSEURS DU XIXe SIÈCLE.

Tout, dans la vie de Jean-Jacques, ainsi que dans ses œuvres, nous le montre en antagonisme inconscient ou systématique avec les idées, les mœurs, les institutions de son temps. Genevois, fils d’un artisan, nourri dans le culte des vertus républicaines que s’accordent à lui enseigner et l’histoire même de sa patrie et les leçons de Plutarque, son premier maître, c’est avant tout un démocrate en cette société tout aristocratique à laquelle il doit se révéler par un virulent anathème contre la culture brillante et factice dont elle se glorifie. Homme nouveau, il ne sait ni parler ni se tenir ; il ignore les convenances du monde, il se vante d’en mépriser les conventions. Il a tous les défauts d’une éducation vulgaire, la manie de se singulariser, la fureur de se mettre toujours en avant, le mauvais goût de crier au milieu de gens qui s’entendent à demi-mot. Son verbe est âpre, son geste provocateur. Il s’exclame, il apostrophe. Il est à la fois timide et brutal, honteux et cynique. Son éloquence aura toujours des crudités, sa langue des provincialismes vulgaires. Il fera tache dans la société contemporaine par sa farouche misanthropie et aussi par je ne sais quelle cordialité expansive où l’homme du peuple se reconnaît. Aux manèges élégants de la galanterie mondaine, il opposera l’amour avec les sensualités grossières de l’instinct comme avec les transports d’une passion exaltée et mystique. Il préconisera l’état sauvage dans un milieu que parent toutes les délicatesses de la vie sociale. Parmi des gens dont la seule morale a pour règle un honneur conventionnel, il fera sonner les mots plébéiens de vertu, de conscience et de devoir. Enfin, dans un monde où la vie purement extérieure et l’exercice abusif de l’esprit critique ont tari toute sève de sentiment, il prêchera une philosophie dont la première maxime est de rentrer en soi-même pour écouter cette voix de l’âme que les bruits du dehors semblent avoir étouffée.

Rentrer en soi-même, ce fut la première parole que Rousseau adressa au siècle, et cette parole résume son œuvre. Il ne fit guère jamais qu’écouter en lui son propre