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L’ÉVOLUTION RÉALISTE.

résume dans une formule les phénomènes du groupe inférieur, jusqu’à ce que la formule universelle apparaisse, n’étant elle-même que le résumé des phénomènes qui constituent l’ensemble de notre monde. Une telle philosophie s’oppose en même temps au spiritualisme et au positivisme : à l’un, en cherchant l’explication des choses dans les choses elles-mêmes sans se payer de conceptions subjectives, à l’autre, en soutenant contre lui que les causes ne sont pas inaccessibles et que l’analyse scientifique peut les extraire des objets. Mais, tandis qu’il y a entre elle et le spiritualisme incompatibilité d’esprit et de méthode, elle emprunte sa méthode et son esprit au positivisme, dont elle ne diffère guère que pour viser, sans y atteindre, un but plus lointain. Comme le positivisme, elle réduit l’homme à des phénomènes de conscience, et la nature à des phénomènes de mouvement. Pour elle, il ne se trouve ni dans le moi, ni dans le non-moi, aucune substance à laquelle nous puissions rattacher les modalités comme à leur principe immuable. Une succession indéfinie de petits faits, voilà tout ce qu’il y a de réel soit en nous soit autour de nous. C’est dans la notation et le classement de ces faits que consiste la science. En nous comme autour de nous, ils s’engendrent les uns les autres. Cette âme, dont le spiritualisme fait une substance active, une personne autonome, la science ne peut y voir que la fuite incessante de phénomènes dans la production desquels n’intervient aucune volonté. Ce que les spiritualistes appellent délibération n’est qu’un balancement tout mécanique de forces aveugles. Nous ne sommes pas plus maîtres de nos actes que de nos sentiments et de nos pensées. Le libre arbitre est une hypothèse gratuite, en flagrante contradiction avec les lois de la nature. Ainsi que le monde physique, le monde moral échappe à toute action libre : « le vice et la vertu sont des produits, comme le vitriol et le sucre ».

Le déterminisme a pour conséquence l’abolition de ce que l’humanité nommait jusqu’ici la morale. Il y a des intérêts et des appétits, il n’y a pas de devoir. Les plus sages