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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

passe triomphalement la moitié du siècle. Il n’éprouve ni découragement ni lassitude. Tout en restant lui-même, il se renouvelle, il ouvre à ses inspirations de plus larges perspectives : définitivement établi dans son génie, il en remplit avec aisance toute la capacité.

La première œuvre que Victor Hugo date de l’étranger, c’est un recueil de satires, mais de satires toutes lyriques. Il y déploie une puissance d’indignation chaleureuse qui n’a rien de commun avec la manie déclamatoire des classiques Juvénals. Il se venge des proscripteurs ; il venge aussi la vertu et la foi publiques un moment éclipsées, et c’est en leur nom que son vers flétrit la corruption des âmes, stigmatise l’abaissement des caractères, flagelle toute une génération déprimée en qui le souci des intérêts positifs a étouffé la religion de l’idéal. Les Châtiments sont une représaille de l’idéalisme romantique contre ce que l’esprit réaliste dénote en soi de scepticisme dans l’intelligence et de lassitude dans la volonté. Mais l’œuvre d’anathème a parfois des accents d’une douceur, d’une pitié infinie. Ce cœur débordant d’amour maudit ceux qui l’emplissent de fureur ; et l’amour s’épanche encore à travers les exécrations, il dicte au belluaire irrité d’attendrissantes élégies, de fraîches et gracieuses idylles ; la haine contre le mal, la colère de la conscience, s’allient chez lui avec cette cordiale humanité, cette sympathie universelle pour les malheureux, qui sera de plus en plus l’inspiration fondamentale du poète, et que son âme apaisée finira par étendre des malheureux aux méchants.

Avec les Contemplations, Victor Hugo revient à la poésie intime. Ce recueil continue ceux dans lesquels il avait déjà mêlé les voix mystérieuses de la nature aux joies et aux tristesses de l’homme ; mais, en même temps que sa forme, sans rien perdre en éclat et en vigueur, gagne en souplesse et en amplitude, déploie des harmonies plus savantes, unit à la précision caractéristique des contours matériels un don merveilleux de rendre par les sons et les rythmes ce que ni nos sens, ni notre intelligence même ne peuvent saisir,