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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

suis, disait-il, un homme pour qui le monde visible existe. » Idées ou sentiments, le monde invisible exista pour lui de moins en moins ; il réduisit la poésie à n’être que le choix des mots et leur bel arrangement ; il ne voulut exprimer par elle que de riches couleurs et d’harmonieux contours.

Le culte exclusif de la forme poétique avait tout au moins fait de lui un admirable artiste. En se rétrécissant peu à peu, en s’amignottant toujours davantage, il fit de ses successeurs d’ingénieux virtuoses. Le plus brillant d’entre eux, le plus fleuri, le plus riche en beaux vocables et en chatoyantes métaphores, c’est Théodore de Banville.

Comme Gautier lui-même, Banville est un païen. Mais il y avait dans le paganisme de Gautier un arrière-goût de moyen âge, de superstitions et de tristesses gothiques. Rien de tel chez Banville. Il n’exprime que la joie des sens, ce qui est sonore à l’oreille et lumineux à l’œil, des rayons sans ombres, des harmonies que ne trouble aucune discordance. Par delà Gautier et Victor Hugo, il donne la main à André Chénier, à celui d’avant Fanny et les Ïambes. Il a quelque chose d’un Grec, ou plutôt de ce que Chénier appelait un Français-Byzantin, en se désignant ainsi lui-même. Il assiste à la vie comme à une fête ; son atmosphère de félicité sereine n’a jamais été troublée ni par les inquiétudes de la pensée, ni par les soucis de la conscience, ni par les ardeurs de la passion.

L’œuvre du romantisme semble s’être réduite pour lui à la régénération de la rime. Il fait de la rime le principe et la fin de toute poésie. C’est à la rime qu’il demande le secret d’une nouvelle langue comique versifiée. C’est pour glorifier la rime qu’il remet en honneur les anciens genres, dont elle fait tout le prix. Le sonnet, restauré par Sainte-Beuve, ne lui suffit pas. Il lui faut les rondeaux, les triolets, les villanelles, les ballades, les formes poétiques les plus hérissées de difficultés gratuites. Ne lui demandons pas autre chose que l’agilité, l’adresse, la grâce vive et souple d’un clown. Il est le clown du lyrisme, d’un lyrisme aérien, fantastique, charmant en ses divagations mêmes, et qui jette bien loin