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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

ment délicats dans l’analyse, tels que peut en former une civilisation vieillie, analogue à ces terreaux brûlants qui produisent des fruits capiteux et malsains.

Au besoin de volupté se mêle chez lui, dans la volupté même, un irrésistible penchant à s’analyser. Il ne pratique jamais que l’amour charnel, tantôt dans sa bestialité morne, tantôt dans ses corruptions les plus savantes. Considérant la femme comme un être inférieur, il lui demande uniquement des sensations. Il lui abandonne le corps, et l’esprit, laissé libre, corrompt les joies de la chair. Ce fils « d’ancêtres fous ou maniaques, morts tous victimes de leurs furieuses passions », exacerba sa sensibilité maladive non seulement par l’abus du plaisir, mais encore par les excitants factices qui lui créaient ce qu’il appelle ses « paradis ». Joignons à cela les froissements de sa vanité susceptible, les soucis pécuniaires dont sa vie fut empoisonnée, les cruelles angoisses d’un artiste qui avorte presque toujours et qui a lui-même conscience de ses avortements, c’est plus qu’il n’en faut pour expliquer en lui cette incapacité du système nerveux à goûter une pleine jouissance. Ce qu’il trouve dans le plaisir, c’est, non pas l’assouvissement et, par suite, le calme des sens, mais une sorte d’exaspération, un sentiment de dégoût et aussi de révolte amère contre la volupté qui ne peut apaiser sa chair. Et alors, le débauché maudit la débauche ; il se détourne avec horreur de son péché ; encore tout souille de fange, il s’éprend d’une spiritualité mystique et berce dans son sein je ne sais quel rêve étoilé. Baudelaire avait commencé par la foi ; son esprit et son cœur en gardèrent, quand il eut cessé de croire, des troubles, des repentirs, des épouvantes. Mais les retours mêmes d’un catholicisme corrompu sont un assaisonnement de plus aux voluptés. Le plaisir est doublé quand une pointe de remords en relève la douceur ; et puis, le frisson d’extase idéale qui saisit parfois le poète dans la stupeur de l’orgie lui donne comme l’illusion de sa primitive innocence : ce blasé s’est ainsi refait une sorte de virginité qui prêtera à la jouissance prochaine un ragoût tout nouveau.