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LA POÉSIE.

C’est le mélange d’une religiosité malsaine avec ce que la débauche a de plus subtil, c’est un mysticisme de mauvais aloi mis au service de la débauche elle-même pour en raviver la saveur, qui fait à Baudelaire toute son originalité. Il entre sans doute bien de la recherche dans cette figure énigmatique. Rien chez lui de simple, rien non plus de sincère. « Un peu de charlatanerie, écrit-il, est toujours permise au génie. » Mais ses affectations nous le révèlent encore, et, par ce qu’il a voulu paraître, nous pouvons juger de ce qu’il fut. À son catholicisme même se rattachent d’ailleurs les rares idées dont s’est nourri cet esprit stérile, et qu’il n’a cessé de répéter en prose comme en vers. Il n’est pas jusqu’à sa théorie de l’art qui n’en procède directement.

Aux yeux de Baudelaire, le péché originel a imprimé à la nature tout entière une tache indélébile. Si nous la considérons au point de vue moral, elle est la voix de l’intérêt, des appétits, des passions égoïstes. Les philosophes du xviiie siècle y voyaient la source de tout bien : il la regarde, lui, comme profondément souillée, et, pour employer son mot, comme satanique. Ce qu’il y a de naturel à l’homme, c’est le vice ; la vertu est artificielle. Transportons cette idée de la morale dans l’art, et nous aurons toute l’esthétique de Baudelaire. Pas plus que le bien, le beau ne procède de la nature. Il est artificiel aussi bien que la vertu. À la « beauté naturelle », le poète préfère la beauté factice, celle que l’art a parée de ses prestiges. Il fait l’éloge du maquillage. Il exalte la poudre de riz, la peinture, les mouches, tout ce qui peut élever la femme au-dessus de la nature, en faire ainsi « un être divin et supérieur ». S’il s’agit de parfums, il a une prédilection toute particulière pour ceux qu’un art savant élabore ; s’il s’agit de couleurs, il préfère les moins franches, les plus compliquées, celles surtout qui trahissent une décomposition intérieure, les « phosphorescences de la pourriture ». Ce qui lui plaît par-dessus tout en poésie, ce sont les produits des civilisations déclinantes que plusieurs siècles de culture ont raffinées à l’excès, les œuvres tour-