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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

mentées et perverties qui présagent la dissolution finale d’une société tombée en décrépitude. Il met Rome au-dessus de la Grèce, et la Rome qu’il admire est celle de Pétrone. L’œuvre d’art sans arrière-pensées, sans machinations subtiles, « ne devant rien qu’à la nature », lui apparaît comme « une matrone répugnante de santé et de vertu ». Il a en horreur toute simplicité. Dilettante de la débauche, il est aussi l’esthéticien de la « dépravation ».

Baudelaire, du moins, avait le culte de la « littérature ». On reconnaît le disciple de Gautier dans son souci méticuleux de la forme, dans l’acharnement avec lequel il poursuivait ce que lui-même appelle « l’expression absolue ». Mais cet artiste opiniâtre triomphe rarement. Les cadres qu’il remplit sont toujours de peu d’étendue, et il ne les remplit le plus souvent qu’avec difficulté. Laissons de côté ses détours, ses entortillements, son prétentieux machiavélisme : que de termes impropres, que d’images fausses, et même que d’incorrections ! Il y a dans les Fleurs du mal quelques vers admirables, d’une beauté mystérieuse et « troublante » : mais combien de pièces vraiment accomplies ? Ce poète à la fois brutal et quintessencié, aussi laborieux qu’infécond, sans imagination, sans idées, et dont l’obscurité voulue ne peut faire illusion sur le vide de son esprit, a eu de nos jours ses admirateurs fanatiques. Le culte de Baudelaire, confiné d’ailleurs en un conventicule de blasés, comporte une part de duperie et une part de mystification ; mais il peut s’expliquer encore par ce qui répond en ce prototype des « décadents » à certaine perversion de la sensibilité, à une sorte de détraquement nerveux dont nos générations actuelles offrent de nombreux exemples.

À Baudelaire, artiste pénible, inquiet et comme strangulé qui tire de son impuissance même une originalité suspecte, peut s’opposer Leconte de Lisle, chez qui la magnificence calme et robuste de la forme s’accorde avec la sérénité d’une âme olympienne. L’un, dandy de la « décadence »,