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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

À Leconte de Lisie se rattache directement l’école des « Parnassiens » ; mais, avant de caractériser leur œuvre et d’apprécier leur influence, il nous faut assigner sa place à un poète qui, ne relevant d’aucun groupe parliculier, a lui-même frayé une voie nouvelle, où les plus illustres représentants de notre poésie contemporaine devaient le suivre sans le faire oublier.

Deux recueils d’Eugène Manuel, les Pages intimes et les Poèmes populaires', indiquent suffisamment et par leur date son originalité novatrice, et par leur titre en quoi consiste cette originalité.

De ces deux recueils, l’un fut publié en 1866, l’année même où Coppée donnait le Reliquaire, son premier ouvrage, qui relève d’une tout autre inspiration. Sully Prudhomme venait, il est vrai, de faire paraître les Stances et poèmes, dont un livre s’intitule précisément la Vie intérieure ; mais certaines pièces des Pages intimes, et parmi les plus caractéristiques, comme l’Aveugle, le Rosier, le Déménagement, sont antérieures de plusieurs années, et quelques-unes même avaient été déjà insérées dans la Revue des Deux-Mondes. Quant aux Poèmes populaires, nous savons par l’auteur qu’ils étaient presque entièrement imprimés au mois de juillet 1870, et il n’aurait pas besoin de nous rappeler que la plupart étaient écrits longtemps avant de paraître, car ceux qui précisément peuvent faire date avaient dû « à l’incomparable interprétation d’artistes d’élite une sorte de publicité anticipée ». Si les Humbles furent publiés en 1871, souvenons-nous que Manuel avait montré le chemin à Coppée.

Ce qu’eurent en leur temps, sinon d’entièrement nouveau, puisque la poésie « intime » remonte jusqu’à l’avènement même du romantisme et puisque la poésie « populaire » avait depuis longtemps inspiré soit le génie épique de Victor Hugo, soit, bien plus tôt encore, la veine bourgeoise de Sainte-Beuve, — mais ce qu’eurent tout au moins d’original, de personnel et même de hardi ces poèmes, qui, en plein triomphe de l’art impassible, retournaient aux émotions de la conscience ou bien allaient chercher leurs sujets dans les rues, dans les ateliers, dans les taudis et les hospices, il importait d’autant plus de l’établir que, si d’autres poètes