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LA POÉSIE.

artiste sincère pour qui le naturel est une sorte de probité. L’idée qu’il s’était faite de la poésie s’oppose directement au dilettantisme du Parnasse. Tandis que l’école parnassienne ne voit dans l’art que virtuosité pure, Sully Prudhomme le nourrit de pensées et de sentiments. Il y a en lui un fonds de moralité active, un souci de la vie intérieure, un goût de science et de philosophie, qui font de son œuvre la plus substantielle qu’aucun poète de notre siècle ait produite.

Il lui échappe çà et là des paroles de découragement ; quelquefois même, tenté par le bouddhisme de Leconte de Lisle, il s’est pris à rêver un linceul frais et léger où sa lassitude s’allonge. Mais ce sont là des velléités passagères, et dont il rougit aussitôt. Que les grondements du canon arrivent à son oreille, le voilà de retour, prêt à la bataille du monde. Durant qu’il vivait dans le songe, un soupir lui est venu des misères et des souffrances humaines : obsédé de ce soupir comme d’un blâme, il sent en lui tous les soucis de la fraternité. Si d’autres s’abandonnent aux lois fatales de l’univers, il combattra pour ses dieux, il ne se désintéressera pas plus du juste et du bon que du beau. La foi dans l’idéal est un principe d’action. Animé de cette foi militante, le poète repousse avec fierté les deuils voluptueux de ceux qui s’avouent vaincus afin de n’avoir plus à combattre. Il cherche cette force qui fonde, et, ne la trouvant pas chez toi, ô Musset, il ferme pour ne plus le rouvrir le vague et triste livre où s’exhalent tes lâches plaintes et tes énervants dégoûts. Il se sent homme dans l’humanité, patriote dans la patrie. Il prétend être fidèle à l’art, mais sans être infidèle à la cité ; il veut sanctifier la cause du beau par le culte du vrai pour le règne du bien. Des deux poèmes les plus considérables de Sully Prudhomme, le premier se termine par un sursum corda, le second a pour couronnement l’héroïque apostolat d’une charité prête au martyre. La Justice est une conquête de l’homme sur la nature, et le Bonheur ne peut se trouver que dans l’effort.

S’il glorifie l’action, ce n’est pas seulement parce, qu’il y voit pour l’humanité l’instrument du bonheur et de la jus-