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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

tice, c’est encore qu’il y cherche pour lui un remède aux souffrances de la sensibilité et aux troubles de l’esprit. Mais son âme aspire en vain à sortir d’elle-même : elle ne se nourrit que de sa propre substance. Sully Prudhomme est par excellence l’interprète du monde intime. L’art délicat avec lequel l’école parnassienne décrivait la nature extérieure, il l’applique à l’expression de ses propres sentiments. Il ne se glorifie point d’un allier stoïcisme. Il ne met point un vain orgueil à dérober la peine de son cœur. Homme, il a besoin d’espérer et de souffrir, de pleurer sur le front d’un ami. Mais si, rompant avec tout exotisme factice et tout archaïsme de commande, il revient à la poésie personnelle des grands romantiques, c’est pour en renouveler le thème désormais banal, soit par une diction plus curieuse, soit par une manière de sentir plus déliée. Tard venu dans le siècle, il a des scrupules et des finesses que la jeunesse du romantisme ne connaissait pas. Ce ne sont plus chez lui ni les expansions toutes spontanées d’un Lamartine, ni les fougueux éclats d’un Musset. Sa passion ne jaillit point en cris ardents, sa mélancolie ne se répand point en vagues effusions. Il n’est pas moins sincère que Musset ou Lamartine, mais son émotion a quelque chose de plus réfléchi. Il porte jusque dans le lyrisme une psychologie infiniment délicate. Son analyse s’attache à ce que la vie intérieure recèle de plus secret et de plus subtil. Sa distinction morale aussi bien que ses scrupules d’artiste répugne à toute rhétorique. Il met de la pudeur dans ses plus intimes confidences. Il est le chantre des suaves tendresses, des pitiés exquises, des fines mélancolies. Sa poésie ressemble à ces fleurs des bois dont il a dit lui-même le charme discret et pénétrant : si les fleurs de serre étalent une beauté plus éclatante et respirent de plus capiteuses senteurs, la violette a pour elle sa grâce modeste, son parfum léger et doux qu’on ne sent bien qu’en la baisant.

Chez ce poète à la sensibilité si tendre se trahissaient, dès son premier recueil, les sollicitations d’un esprit que préoccupe la science contemporaine non seulement dans ses