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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

La science n’est pas tout entière dans les solutions fixes. Si elle satisfait l’intelligence en la mettant en possession d’une infaillible certitude, elle ouvre à l’imagination, par delà les sèches formules et les preuves catégoriques, des perspectives lointaines dans lesquelles nos rêves trouvent un asile. Pas une de ses recherches qui ne tende à l’infini. Les temps ne sont plus où les songeurs de Milet et d’Elée tentaient sur l’univers je ne sais quel fol embrassement. Mais l’émotion du grand mystère n’en trouble pas moins l’âme du poète. Il est de ceux que l’infini hante. La cornue et le télescope en ont pas à pas poursuivi le secret : il chante le chimiste sondant les caprices des forces, l’astronome qui, du haut de sa tour où la Vérité fera sentinelle, somme l’astre échevelé de reparaître au ciel dans mille ans. Mais qui donc arrachera d’un seul coup ses voiles à l’antique Isis ? La nacelle des aéronautes, que sollicite l’éternelle énigme, s’enlève et monte droit au zénith. Dans les profondeurs de l’immensité taciturne, il la suit éperdument : sur ses lèvres un chant éclate que la science inspire à la poésie et que la poésie chante à la science.

L’accord de la science et de la poésie, que Sully Prudhomme a si heureusement conciliées, se retrouve dans son « criticisme » sentimental, qui donne pour suprême aboutissement aux investigations d’une rigoureuse analyse les élans du cœur et les révélations de la conscience. Positiviste, il ne connaît d’autre instrument que la méthode expérimentale ; et, comme ni l’expérience interne ni l’expérience externe ne sont en état de résoudre les grands problèmes qui nous sollicitent, il se résigne à ignorer. La science doit-elle donc rester inactive ? Non certes. Que, sachant ignorer, elle travaille à savoir. Qu’elle se garde de toute anticipation téméraire ; qu’elle ne cherche la vérité ni dans les vaines hypothèses de la métaphysique ni dans les décevantes suggestions du sentiment ; son travail consiste à multiplier incessamment les données de l’expérience en les serrant toujours davantage afin de saisir des rapports de plus en plus essentiels à l’objet de ses investigations.