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LA POÉSIE.

Ce qu’on peut reprocher à la forme du poète, surtout dans ses pièces philosophiques, c’est d’être par endroits tendue et pénible, de pousser la précision jusqu’au raffinement et la concision jusqu’à l’obscurité. Ces vices sont ceux d’une conscience littéraire que préoccupent avant tout la rigueur et la plénitude de l’expression. Il sait que « les mots ressemblent aux vases », que « les plus beaux sont les moins remplis » ; mais cet esprit loyal ne laisse vide aucun de ceux qu’il emploie, il verse à chacun d’eux tout leur sens. De là, ce que ses vers ont parfois de chargé. Ajoutons que la poésie mise au service de la science en contracte nécessairement quelque prosaïsme. Certes, le Bonheur et la Justice ne sont pas des traités didactiques, et le cœur s’y intéresse aux questions les plus hautes de l’intelligence ; mais dans les portions vraiment scientifiques de ces poèmes, la langue, si elle était exacte, ne pouvait manquer d’être abstraite, et le poète se soucie trop de l’exactitude pour reculer devant l’abstraction

Malgré les défauts où l’entraînent les scrupules mêmes de sa probité, Sully Prudhomme n’en est pas moins un admirable artiste. Il l’est par la pureté des contours, par la justesse des images, par la suavité pénétrante des harmonies. Sa forme a, pour rendre les idées, la rectitude d’un trait ferme et sûr ; elle a, pour exprimer les sentiments, des modulations d’une délicatesse infinie. D’autres déploient plus de puissance, d’ampleur et de richesse ; nul n’a connu le secret d’une perfection aussi exquise, aussi choisie, aussi distinguée.

Comme Sully Prudhomme, Coppée fit d’abord partie du groupe parnassien. C’est à Leconte de Lisle, « son cher maître », qu’il dédie le Reliquaire. Encore adolescent, il avait écrit plus de six mille vers, qui ne virent jamais le jour : un des chefs du Parnasse, auquel il les soumit, l’éclaira sur son inexpérience, et le jeune homme inaugura son entrée dans le cénacle par un autodafé de ses œuvres complètes. Le premier recueil qu’il publie montre déjà un