Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire au XIXe siècle, 1900.djvu/314

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
306
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

naturelle » ; dès 1840, il écrit qu’on ne saurait faire de la critique vive et vraie sans faire de la physiologie et parfois de la chirurgie secrète. Mais, quelque importance qu’il attribue dans la production littéraire au tempérament des écrivains, à leurs humeurs, à leur degré de bonne ou de mauvaise santé, il n’est pas systématiquement fataliste. Les conditions physiologiques, qui sont à ses yeux des données capitales, ne lui expliquent pas tout par elles-mêmes ; il réserve une part à la liberté, et, dans tous les cas, son tact l’avertit que, même en faisant de la critique une science, il n’y a pas moyen de traiter les sciences des esprits comme celles des corps, qu’elles ne se prêtent ni à la même rigueur dans les procédés ni à la même exactitude dans les résultats.

D’autre part, si Sainte-Beuve a de bonne heure marqué la nécessité de » creuser plus avant dans le sens de la critique historique », s’il n’a jamais voulu que le lecteur « fût pour des livres anciens ou nouveaux comme le convive pour le fruit qu’il trouve bon ou mauvais », ce qui l’intéresse le plus, c’est le caractère de l’auteur lui-même, sa personne dans ce qu’elle a de plus individuel et de plus intime. Moins historien que biographe, il comprend aussi l’histoire moins en philosophe qu’en moraliste. Il ne se préoccupe pas de collaborer à l’édification d’une vaste théorie : les théories lui inspirent d’autant plus de défiance qu’elles sont plus générales. Il ne cherche même pas des formules qui s’appliquent aux diverses familles d’esprits et de talents. Ce sont des portraits qu’il fait, et, sans désespérer que l’on trouve, avec le temps, une juste nomenclature, que l’on répande dans cette immense variété de la production artistique « quelque chose de la vie lumineuse et de l’ordre qui préside à la distribution des familles naturelles en botanique et en zoographie », il se contente de préparer modestement cette classification future en faisant, avec toute espèce de précautions et de scrupules, des biographies infiniment délicates dans lesquelles il porte un sens exquis des nuances.

Ajoutons qu’il apprécie les œuvres, non pas seulement à