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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

ses longues jambes fragiles, ou à la frégate la disproportion de ses ailes immenses et de ses pieds raccourcis, de même le critique, qui est le naturaliste de l’âme, accepte les formes diverses que l’âme peut revêtir, et s’efforce de les expliquer toutes. Sans doute, Taine attache plus de prix à une belle œuvre ; il déclare même que les œuvres littéraires sont instructives parce qu’elles sont belles, et que leur utilité croît avec leur perfection : mais, comme le critérium de la beauté consiste justement pour lui dans la somme de « sentiments importants » qu’un livre rend visibles, on pourrait, en renversant les termes, dire que les œuvres littéraires sont belles à ses yeux parce qu’elles sont instructives. S’il s’applique à l’étude des littératures, c’est qu’il y voit le tableau le plus fidèle et le plus expressif des sociétés antérieures. Même en se faisant « littérateur », il reste historien.

Aucune différence de nature ne sépare à ses yeux le monde moral du monde physique. Les phénomènes moraux, plus compliqués et plus délicats, ne se laissent ni aussi facilement observer ni aussi rigoureusement définir ; mais ils n’en sont pas moins du même ordre que les phénomènes physiques : quelque distinction que l’on puisse établir entre l’histoire humaine et l’histoire naturelle, l’une et l’autre subissent les mêmes lois organiques, et, par conséquent, la méthode qui s’applique à l’histoire naturelle doit aussi s’appliquer à l’histoire humaine.

Les documents historiques sont, dit Taine, des indices au moyen desquels il faut reconstruire l’individu visible. C’est pour connaître l’homme qu’on étudie le document, et la véritable histoire ne commence que du moment où l’historien se représente l’homme corporel. Mais l’homme corporel n’est lui-même qu’un indice, au moyen duquel il faut parvenir à la connaissance de l’homme invisible. Ce qui intéresse l’historien dans les costumes, les meubles, les maisons, ce sont les habitudes et les goûts qu’ils dénotent ; et de même, s’il considère les monuments écrits, c’est pour mesurer la portée et les limites des intelligences. De quelle façon procède-t-il ? De la façon dont procèdele naturaliste dans son