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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

n’est pas libre, que tous les phénomènes de la vie morale sont, comme tous ceux de la vie physique, nécessairement déterminés par des phénomènes antérieurs, que, par exemple, si nous nous en tenons aux influences de la race, le caractère est, chez les individus, un produit nécessaire qui a pour facteurs tous les ascendants de leur lignée, comme il est, chez les peuples, la résultante fatale de toutes leurs actions et de toutes leurs sensations antérieures. Mais, si le système de Taine a pour base un déterminisme universel et absolu, ceux-là mêmes qui veulent réserver la liberté morale de l’homme sont bien obligés d’admettre que l’homme dépend plus ou moins des influences par lesquelles ce système l’explique tout entier. C’est là une question de mesure, et, quelque grande qu’on veuille faire la part de notre liberté, on n’en doit pas moins reconnaître que la méthode de Taine est en elle-même légitime. Si l’on ne considère pas l’homme comme une force tout à fait indépendante des causes étrangères à sa volonté, il faut bien admettre que l’analyse s’occupe de déterminer l’action de ces causes, il faut bien suivre la critique naturelle jusqu’au point où ce qu’elle nous explique par des influences fatales, nous préférerons l’attribuer à un pouvoir autonome dont ces influences ne nous semblent pas rendre compte. L’objection capitale que l’on a posée à Taine, c’est de ne pas saisir « la monade inexprimable », « ce qui fait que de vingt hommes, ou de cent, ou de mille, soumis en apparence presque aux mêmes conditions, pas un ne se ressemble, et qu’il en est un seul entre tous qui excelle avec originalité ». Cette objection met en cause, non pas la méthode en elle-même, mais l’imperfection de nos instruments. Parce que le mystère de la vie nous échappe, ce n’est pas une raison pour que nous condamnions les sciences biologiques : de même, parce que la critique physiologique ne résout pas l’énigme suprême, est-ce une raison pour s’opposer à ce qu’elle la poursuive, à ce qu’elle la serre toujours de plus près ?

Ce que l’on peut reprocher à Taine, c’est ce que la méthode qu’il pratique a de contradictoire avec celle qu’il expose. Il