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LA CRITIQUE.

annonce une analyse inductive, et il procède par déductions. A-t-il appliqué dans son travail personnel la méthode du naturaliste ? Ce qui est certain, c’est que nous n’en retrouvons aucune trace dans ses constructions géométriques. Au lieu de nous faire arriver par degrés à la formule générale qui devrait être présentée comme l’aboutissement final de son enquête, il pose tout d’abord cette formule, et il en déduit, de théorème en théorème, toutes les conséquences qu’elle comporte. Une méthode aussi impérative, quand il s’agit d’une matière particulièrement délicate et flottante, éveille notre suspicion. Nous nous demandons si Taine n’avait pas dès l’abord son siège fait, s’il ne s’était pas formé à première vue une idée de l’individu qu’il étudie, et si, cette idée une fois conçue, il ne s’est pas contenté d’en poursuivre l’application systématique en écartant tout ce dont elle ne rendait pas raison, tout ce qui pouvait y contredire. Ainsi, la critique risquerait d’être exclusive et partiale : elle substituerait à la multiplicité de l’homme une unité factice. Sans doute, dans le système de Taine, la faculté maîtresse explique l’homme tout entier, et, quand elle a été reconnue, il n’y a plus qu’un problème de mécanique. Mais, en admettant que la détermination de cette faculté même ne comporte point d’erreur, il faut pousser le fatalisme jusqu’à ses dernières conséquences pour regarder l’âme humaine comme une sorte de machine et pour croire que ses mouvements les plus délicats, ses opérations les plus complexes, s’expliquent par le jeu d’un rouage unique. C’est là croire, non plus seulement à une faculté maîtresse, mais, comme on l’a dit, à une faculté génératrice.

Dans tous ses ouvrages, Taine n’a fait qu’appliquer, soit à l’histoire proprement dite, soit à la littérature, qui l’intéresse surtout par sa signification historique, une théorie absolue qu’il avait d’emblée arrêtée dans son esprit et dont l’inflexible rigueur n’a jamais admis aucune atténuation. Tout, chez lui, prend une forme systématique. Il y a un artiste dans ce savant et un poète dans ce dialecticien ; mais son imagination puissante ne lui sert qu’à illuminer sa lo-