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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

gique. Il dédaigne toutes les qualités de l’écrivain qui ne sauraient se mettre au service de sa pensée autoritaire et crue. Sa touche manque de souplesse ? c’est que la souplesse du style dénote un sentiment et un goût des nuances absolument étrangers à cet esprit entier, catégorique, décisif ; appliquant la même méthode à Balzac qu’à Racine, il leur applique à tous deux le même style. Sa touche manque de légèreté ? c’est que chaque proposition soutient pour ainsi dire le poids de tout le système. Il n’écrit que pour prouver. Ses livres sont composés mathématiquement : un ordre rigoureux préside à la distribution des chapitres dans l’ouvrage, des paragraphes dans le chapitre, des phrases dans le paragraphe, des membres dans la phrase. Pas un mot qui ne serve à sa thèse, pas un ornement qui ne concoure à la solidité ou à la convenance de l’édifice qu’il construit. Jusque dans sa façon d’écrire, nous trouvons chez Taine un architecte d’idées. Écrivain aussi bien que penseur, ce positiviste est dans notre siècle, par la forme de son esprit, le représentant de la « raison classique » qu’il a si bien définie et si vigoureusement combattue.

On ne peut, semble-t-il, nommer Ernest Renan après Taine que pour le lui opposer. Il serait difficile de trouver deux natures plus contraires. La manière ondoyante et fuyante de Renan, sa délicate ironie, son aversion pour tout système, font contraste avec les formules dictatoriales de Taine. Mais il n’en exprime pas moins à sa façon cet esprit scientifique dont le triomphe universel marque la seconde partie de notre siècle. Le criticisme contemporain, qui se carre chez l’un en théorèmes despotiques, n’est pas moins sensible chez l’autre pour s’atténuer et se fondre en d’imperceptibles nuances.

Sa race, son éducation, le milieu particulier dans lequel il se développa, prédestinaient Renan à ce qu’il nomme un romantisme moral. Sans aptitude et sans goût pour tout ce qui n’est pas le maniement pur des choses de l’esprit, il tient de son pays et de ses aïeux un invincible penchant à