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LA CRITIQUE.

ne poursuivre que des fins désintéressées. Il n’a jamais aimé que les martyrs, les exaltés, les amis de l’impossible, et lui-même pousse d’instinct l’idéalisme jusqu’à l’utopie. « Les causes fanatiques me sont si chères, disait-il encore tout récemment, que je ne puis raconter une de ces héroïques histoires sans avoir envie de me mettre de la bande des croyants pour croire et souffrir avec eux. » Si, tout jeune encore, il « sortit de la spiritualité », ce fut pour « rentrer dans l’idéalité », à laquelle son âme demeura toujours fidèle. Renan n’a jamais été un stoïcien, sa nature répugnant d’elle même à ce que le stoïcisme comporte d’austérité raide et quelque peu contrainte ; mais le nom d’épicurien, qu’on lui a parfois donné, s’il peut en un certain sens s’appliquer au « dilettantisme » de son esprit, ne saurait convenir à son habitude morale que pour ce qu’il laisse entendre d’indulgence. Cette indulgence même, si elle n’était pas naturelle à son caractère, s’expliquerait par les scrupules de sa philosophie, par cette idée que le mal est peut-être la condition du bien. Elle a parfois donné à ses principes « un air chancelant » ; mais il ne faut pas prendre chez lui pour des défaillances de la conviction certaines mollesses qui tiennent soit au scepticisme de l’intelligence, soit à la bonté du cœur. Renan avait de nature la vocation de l’idéal. L’homme, à ses yeux, ne vaut quelque chose que par les facultés intellectuelles et morales qui, l’élevant au-dessus des vulgarités de la vie, lui ouvrent un monde d’intuitions supérieures et de pures jouissances. Ce qu’il appelle religion, c’est la part de l’idéal dans l’existence humaine.

Cette religion, il l’a toujours confessée, il s’en est toujours dit prêtre. Ayant perdu de bonne heure et sans retour tout ce que l’analyse intellectuelle peut dissoudre de la foi, il en conserva tout ce que le goût et le besoin de l’idéal rendent nécessaire aux âmes pieuses. Nul n’a eu plus que lui le sens de la « divinité ». Qu’est-elle à ses yeux ? Nous n’irons pas lui demander une définition de l’infini ; mais, dans ce vague même que l’infini comporte, il semble bien n’avoir jamais cessé de reconnaître un principe céleste et comme